La Lanterne de Diogène

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Les bêtes de somme de l'enseignement

Il y a trois éléments importants à prendre en considération lorsqu'on s'intéresse à la lourdeur de la tâche de l'enseignement du français au collégial : d'abord l'aspect correction, qui comprend le nombre de corrections et le temps accordé à cet exercice; ensuite la répartition des périodes d'enseignement; et, finalement, la particularité de l'enseignement du français par rapport aux autres disciplines.

Le premier élément qui contribue à alourdir la tâche de l'enseignement du français est facile à quantifier. Le ministère lui-même a déjà statué sur le nombre de minutes correspondant à la correction d'une dissertation critique d'un élève : 30 minutes bien comptées. On n'a alors qu'à multiplier par le nombre d'élèves rencontrés par un professeur pour obtenir le temps correspondant à la correction d'une dissertation pour l'ensemble des classes d'un professeur de français. Ce qui donne : 30 x 120 = 3600 minutes, soit 60 heures. Cela correspond à deux semaines de correction à temps plein, sans rien faire d'autre. Si on prend en considération que le professeur continue de donner des cours pendant la période de correction (en moyenne 16 heures de prestation en classe et au moins quatre heures de préparation pour un cours, cela correspond à 20 heures au minimum de travail pour les cours), on se rend compte qu'il reste à peine 12 heures de correction par semaine. Il faut alors que le professeur ne fasse rien d'autre, c'est-à-dire qu'il ne participe à aucune réunion de département, de comité de cours ou de programmes, qu'il n'organise aucune activité avec ses élèves, qu'il n'encadre aucun élève, qu'il ne prépare aucun matériel de cours, qu'il ne lise aucun livre, qu'il ne fasse aucune photocopie, etc. À ce rythme, le professeur en a pour 5 semaines s'il veut remettre des copies bien corrigées.

Il faut ajouter, à ce premier élément de la correction, que dans chaque cours les professeurs doivent donner deux travaux du type de la dissertation. Ce qui multiplie par deux les semaines de correction, pour un total de 10 semaines de correction (sur les 15 semaines d'une session) sans rien faire d'autre que de donner des cours, les préparer et corriger les deux travaux. Évidemment, d'autres travaux sont exigés par les plans cadres, comme un travail de préparation à la dissertation ou à l'analyse littéraire, des tests synthèses, des exercices de grammaire, des tests de lecture, sans compter les travaux formatifs, etc. Tous ces travaux doivent être corrigés par le professeur pour assurer un suivi digne de ce nom.

Ne serait-ce que sur le plan de la correction, la tâche paraît déjà impossible à accomplir sans sacrifier la qualité de l'enseignement, de la préparation et de la correction elle-même.

Le deuxième aspect à considérer est la répartition des périodes d'enseignement. Les cours de français se donnent en deux rencontres de deux heures par semaine. Le professeur doit aller en classe huit fois et rencontrer ses élèves deux fois par semaine, ce qui multiplie la perte de temps entre les cours. En outre, les cours de français sont ainsi pris entre deux statuts de disciplines : d'une part, il y a les disciplines qui offrent des cours de trois heures une fois par semaine; et d'autre part, il y a les disciplines qui dispensent des cours de plus de trois heures deux fois par semaine. Or toutes les disciplines qui ont des cours de plus de trois heures, et dont les professeurs rencontrent les élèves plus d'une fois par semaine, se voient allouer moins de groupes ou d'élèves par professeurs que ceux de français.

Il y a là une iniquité qui est due à un effet pervers de la Réforme Robillard : en ne changeant pas la formule du calcul de la charge de travail et en créant ainsi des nouveaux types de cours de quatre heures en deux rencontres, on modifiait la charge réelle de travail sans en tenir compte dans le calcul. En fait, les professeurs de français sont pris entre deux chaises : ils ne sont plus comme les professeurs de certaines disciplines qui rencontrent les élèves une fois par semaine, et ils ne sont pas encore comme les professeurs des autres disciplines qui rencontrent leurs élèves plus d'une fois par semaine. Ils ont alors la lourdeur des rencontres multiples de groupes sans obtenir la compensation équivalente d'une diminution du nombre d'élèves.

Finalement, la lourdeur de la tâche en français provient aussi de la nature même de la matière enseignée. Dans chaque cours de français, le professeur doit donner à lire un minimum de trois œuvres complètes différentes à l'ensemble de ses élèves. Il doit au préalable les avoir lues, analysées et décortiquées. Il doit connaître à fond les auteurs étudiés et les courants dans lesquels ils s'insèrent, et également le contexte historique, politique et social des époques étudiées. Bref, le professeur doit se documenter énormément pour préparer un cours de 60 heures et il ne peut se fier à aucun manuel ou encore moins à des extraits d'œuvres. De plus, il sera obligé de changer d'œuvres de session en session pour varier le contenu de son cours et le rendre plus vivant. Bref, la préparation de cours exige davantage que pour des cours semblables où un manuel est adopté définitivement et où il n'y a qu'un livre à faire lire par session et un seul gros travail de session à corriger.

Il faut ajouter à ce dernier point les différents aspects reliés à l'enseignement du français au collégial. Il ne s'agit pas de cours de langue uniquement. Savoir lire et écrire représente une priorité, mais une part importante des cours de français réside dans l'enseignement de la littérature et dans la transmission de la culture générale. À cet égard, les professeurs de français sont surtout des professeurs de littérature, de théâtre, de peinture, de musique et de cinéma. Outre la grammaire, ils enseignent la méthodologie et l'histoire littéraire. Bref, le contenu des cours de littérature est multiple et demande une préparation inouïe. Cela alourdit la tâche davantage.

Correction, répartition des périodes et nature de l'enseignement sont les trois éléments qui rendent la tâche des professeurs de français particulièrement lourde et presque inhumaine. La correction prend tant de temps qu'elle réduit les professeurs soit à sacrifier leur vie personnelle, soit à trouver des stratégies de correction expéditives. Le nombre d'élèves rencontrés par semaine et la fréquence des rencontres obligent les professeurs à encadrer le moins possible d'élèves. Et, finalement, la nature de l'enseignement contraint les professeurs de français à accorder énormément de temps à la préparation de leur cours, sans compter la préparation des stratégies pédagogiques pour rendre cette matière multiforme attrayante.

Existe-t-il dès maintenant des solutions pour diminuer réellement la lourdeur de la tâche des professeurs de français au collégial et ainsi favoriser l'acquisition d'habiletés fondamentales et de connaissances générales indispensables chez les élèves?

Oui, il y a des solutions. On peut en lire quelques-unes dans le Mémoire du département de français du cégep Lionel-Groulx, à l'article Demandes.

Cela dit, le problème de l'enseignement de la littérature et du français au collégial est plus profond que cette lourdeur de la tâche le laisse supposer. Il ne faudrait pas croire qu'en satisfaisant ces demandes et en allégeant la tâche des professeurs, on réglerait tous les problèmes de lecture et d'écriture des élèves. Il y a d'autres aspects à considérer. C'est ce que je vais tenter de mettre en lumière dans une autre chronique, en comparant l'enseignement de la philosophie et de la littérature.

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Guy Ferland