La Lanterne de Diogène

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La littérature contre elle-même

La difficulté de l'enseignement de la littérature au collégial

Longtemps, je me suis posé la question : pourquoi les cours de littérature et de français sont-ils autant détestés ou difficilement supportés par les élèves du collégial? Au-delà de l'aspect obligatoire de ces cours de la formation générale, il y a un mécontentement qui se manifeste de plus en plus ouvertement dans les cégeps à leur égard. Et cela produit un effet catastrophique : au lieu d'aimer le français, les élèves en arrivent à haïr leur propre langue maternelle. Sans parler qu'ils se détournent de la culture française et québécoise, quand on veut trop la leur imposer.

Cela se sent et se constate surtout quand on enseigne la littérature et le français. Pendant six ans, j'ai donné des cours de philosophie. Les élèves m'appréciaient. Ils venaient en classe avec enthousiasme, souvent avec des amis qui n'étaient même pas inscrits. Maintenant, j'enseigne la littérature. Les élèves me supportent. Quelques-uns s'absentent le maximum de fois permis par les règles de l'institution. Pourtant, je suis le même professeur : j'enseigne avec la même ferveur et les mêmes exigences qu'avant. Alors pourquoi est-ce ainsi?

Les maudits cours de frança...

D'abord, les élèves arrivent en classe de littérature dès le premier cours avec des appréhensions issues du secondaire. Les cours de français sont réputés être «plates>> et difficiles pour rien. Les professeurs de français sont des grincheux, des pointilleux qui pavoisent d'un savoir dont personne n'a cure : la maîtrise de l'écriture. Au départ, il y a donc une côte à remonter qui n'existe pas en philosophie, car les élèves ne connaissent pas cette matière à leur entrée au cégep.

Ensuite, la matière ne possède pas les attraits pour susciter de l'enthousiasme. Lire et écrire. Deux activités essentielles, mais qu'on pratique à regret, par obligation dans son travail. En soi, ces activités ne présentent rien d'exaltant pour des jeunes qui sont assujettis aux jougs du multimédia, de la musique et de la vidéo. La sensibilité à l'égard de l'écriture et de la lecture est peu développée aujourd'hui, même si on reconnaît d'emblée l'importance de maîtriser au minimum la capacité de lire et d'écrire correctement.

C'est justement là que le bât blesse. Le message que tout le monde entend et que tout le système de l'éducation véhicule dit : il faut posséder une maîtrise minimum de l'art d'écrire et de lire. On n'a pas besoin d'en savoir plus dans la société pour exceller au travail. En savoir plus , c'est faire de la littérature, c'est-à-dire perdre son temps dans de futiles analyses de discours. Mais personne n'a véritablement besoin d'analyser les figures de style dans son travail quotidien!

Alors, les cours de littérature se trouvent dans une curieuse situation : ils sont obligatoires pour tous, il y a même un examen du ministère qui vient sanctionner les études collégiales, mais ils portent sur une matière trop spécialisée pour l'ensemble des élèves.

La philosophie

De leur côté, les cours de philosophie n'ont pas ce handicap, car la réflexion sur sa propre destinée, sur ses orientations, sur la société, sur les valeurs, etc., intéresse d'emblée toute personne aujourd'hui. Le besoin de s'arrêter et de se ressourcer est criant dans un monde en effervescence comme le nôtre. Les élèves, à 17 ou 18 ans, se posent des questions sur leur identité, sur leur avenir, sur la vie et le travail. Et les cours de philosophie, par l'exemple des grands philosophes, peuvent proposer des pistes de réflexion en ces domaines. Bref, quand on n'insiste pas trop sur l'histoire, les élèves s'éveillent au contact de la philosophie. Les liens avec leurs préoccupations du moment se font d'eux-mêmes. Les cours de philosophie comblent des besoins.

Tandis que les cours de littérature portent sur un domaine artistique important, mais pas essentiel, qui est éloigné des préoccupations des élèves. On pourrait arguer que la littérature est l'âme d'un peuple, d'une nation, qu'elle représente le fondement de toute civilisation, qu'elle est l'expression artistique par excellence, qu'elle produit un travail sur la langue qui la fait évoluer, etc. Tout cela est vrai. Mais cela n'intéresse presque personne. Au Québec, 5000 fidèles vont au théâtre régulièrement. Quand un roman se vend à plus de 1000 exemplaires, c'est un succès. On ne parlera pas des poètes, les pauvres! qui publient souvent à comptes d'auteur et sans lecteur.

Cela ne veut pas dire qu'il faut baisser les bras et jeter les armes des mots. Non! Au contraire, ce serait un argument qui militerait en faveur de la résistance incarnée par la littérature. Mais est-ce que le système de l'éducation constitue le lieu par excellence de la résistance? Et comment combattre l'indifférence des élèves à l'égard de cette forme d'art désuet pour eux? Par le plaisir ou la contrainte?

La Réforme Robillard et ses effets pervers

Là est sûrement l'élément le plus pervers de la réforme de l'éducation des dernières années. On veut obliger les élèves à lire et à écrire alors qu'on pourrait plus simplement les amener à aimer lire et écrire. On veut les contraindre à se conformer à des règles et des cadres rigides qui n'ont aucune espèce de conséquence dans leur vie personnelle et professionnelle, au lieu de les laisser s'exprimer sur une matière nouvelle qui pourrait être merveilleuse : la littérature.

Au lieu d'ouvrir des perspectives nouvelles, d'élargir les horizons, les cours de littérature deviennent des lieux d'enfermement. Les élèves sont soumis à des exercices quasi militaires d'analyses et de dissertations rigides qui briment toute liberté de pensée. Dans les modèles proposés de dissertations par le MEQ, on voudrait que tous les élèves écrivent de la même façon : des paragraphes de la même longueur, avec des idées principales, secondaires, preuves et commentaires dans le même ordre. Il y a tellement de contraintes formelles pour rédiger une dissertation que le contenu est quasiment évacué. De toute façon, le contenu devrait être académique.

L'examen bidon du ministère de l'Éducation

Idéalement, pour obtenir leur diplôme collégial, les élèves devraient écrire des dissertations dignes de manuels scolaires, sans originalité, en s'inspirant d'une sensibilité et d'une expérience littéraire d'un autre monde, pour ne pas mentionner le modèle scolaire suranné français.

Et tout ce quiproquo est soutenu par l'examen du ministère final. Les élèves ont la curieuse et juste impression que seul ce test est important et que le contenu des cours de littérature importe peu. Le seul objectif des cours de français devenant un apprentissage du modèle de dissertation à la française, sans âme et désincarnée.

Voilà qu'en bout de ligne le professeur de français est pris dans un cul-de-sac. Il doit enseigner une matière rébarbative au départ, résultat des expériences du secondaire, et il doit combattre l'idée que la littérature est secondaire, perception due à l'examen final. Des deux côtés, la littérature est déclassée au profit de la maîtrise du français, seule matière importante aux yeux des élèves et du ministère, semble-t-il.

Le cul-de-sac

Les professeurs de littérature se trouvent donc en porte-à-faux : ils voudraient rendre agréable leur matière, la littérature, mais ils sont soumis à la conjoncture des expériences passées des élèves avec les cours de français et aux conjectures des élèves face à l'épreuve uniforme ministérielle.

Voilà pourquoi il y a péril en la demeure. Quand on soutient le français par la seule contrainte, par l'obligation, par la menace et par la punition, on associe la pratique d'une langue à des expériences négatives. C'est ce qu'on fait en ce moment dans les cégeps avec les cours issus de la réforme Robillard qui sont tous des étapes préparatoires à l'épreuve (qui porte bien son nom) uniforme (militaire?) ministérielle.

C'est ainsi que l'écriture et la lecture deviennent des activités pénibles à l'intérieur des cours de français au collégial. Les professeurs doivent s'ingénier à trouver des moyens de rendre leur cours intéressants en contournant les devis du ministère et les exigences de l'épreuve finale. À quand la mise en valeur du plaisir de la lecture et de l'écriture à l'intérieur des cours de littérature?

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Guy Ferland