La Lanterne de Diogène

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Plus moderne, tu meurs!

Querelle des anciens et des modernes au Salon du livre de Paris
Christian Rioux
LE DEVOIR
Le vendredi 26 mars 1999

Le Salon du livre de Paris s'achève à peine qu'on n'a pas fini de parler de cette déferlante québécoise qui s'est emparée de la capitale française. Dans la foulée, on n'a pratiquement rien dit de la centaine de colloques, conférences et simples rencontres (souvent d'un grand intérêt) avec des écrivains connus et moins connus qui a rythmé ces cinq jours. De la pédagogie à l'édition en passant par les Amérindiens et la linguistique, il y en avait pour tous les goûts.

La rencontre qui a fait le plus d'étincelles (et le plus jaser) opposait les "anciens" et les "modernes" dans la littérature québécoise. En l'absence des premiers, l'exercice s'est étrangement transformé en procès sommaire de tout ce qui n'a pas eu l'infini bonheur de voir le jour à l'orée de la Révolution tranquille.

Tel semblait être le message un peu sec des écrivains Jacques Godbout, Sergio Kokis et Gaétan Soucy, qui s'en sont donnés à cœur joie pendant une petite heure, brûlant tour à tour en effigie Félix-Antoine Savard (Menaud, maître draveur), Albert Laberge (La Scouine), les auteurs de Refus global et Gilles Vigneault. La grande vidange n'a pas même épargné au tournant "ces poètes auxquels on a fait des obsèques nationales" (Gaétan Soucy), à savoir Gaston Miron, et Gabrielle Roy (que Gaétan Soucy situait pas très loin du "terroir").

"Je n'ai aucune reconnaissance pour ceux qui nous ont éduqués. On a vécu dans une province idiote", a tranché Jacques Godbout dans une envolée d'une virulence adolescente. Pour l'auteur de Salut Galarneau, seules Gabrielle Roy et Anne Hébert trouvent grâce dans cette grande noirceur dont certains tenteraient aujourd'hui à tort de diluer un peu l'opacité. Confronté à l'historien de la langue Claude Poirier citant La Scouine (un roman d'Albert Laberge, écrit en 1918, qui s'opposait à une peinture idyllique du terroir), Jacques Godbout a conclu : "C'est de l'archéologie!"

Pour Gaétan Soucy, on aurait même exagéré l'importance, dans l'histoire artistique du Québec d'un manifeste comme Refus global, signé par les peintres automatistes. Un texte qui n'a eu pratiquement aucune diffusion et qui n'était même pas écrit en français, selon un des participants.

La palme du "bon débarras" revient sans aucun doute à Sergio Kokis. "Félix-Antoine Savard, c'est épouvantable. Vigneault, c'est le terroir!" Le romancier met un trait d'union entre "terroir" et "question nationale": "Moi, je m'en fiche du séparatisme, j'ai émigré au Canada. [...] Pour moi, la question nationale, c'est du terroir, c'est du vieux jeu [...]." L'auteur d'origine brésilienne - qui a fui son propre "terroir" en quittant le Brésil - parle de cette "soi-disant question nationale" qui fait que "l'artiste se trouve pris dans ce magma national" où ceux qui ne pensent pas comme la majorité sont ostracisés.

Un point de vue proche de celui de Jacques Godbout qui s'est dit ennuyé, au Salon du livre de Paris, "de retrouver le mot "Québec" partout. Je ne veux pas qu'on fasse de nous des drapeaux. Car le résultat sera mis au crédit du parti au pouvoir". Plus tôt cette semaine, l'écrivain-cinéaste avait dénoncé l'intervention dans un atelier du responsable culturel de l'ambassade canadienne à Paris.

Pour Lise Bissonnette qui répondait à Sergio Kokis, "il y a une différence entre mépriser la question nationale et s'en ficher personnellement. La question nationale est une question moderne. [...] Ces débats ne sont pas des débats dépassés. C'est trop facile de tout condamner quand on se cantonne à la littérature".

L'ancienne directrice du Devoir estime que les intervenants s'inventent "des ennemis imaginaires" sortis tout droit des années 70. "Je ne vois plus d'endroit où l'on crie encore "mon pays" dans les activités littéraires et artistiques aujourd'hui." Lise Bissonnette a aussi pris la défense du Devoir, qualifié de journal "biaisé" (Sergio Kokis) et "militant" (Jacques Godbout).

Interrogé après le débat, Claude Poirier était désolé de ces condamnations péremptoires à propos d'écrivains "que la plupart n'ont même pas lus". Comme si les baby-boomers étaient sortis de la cuisse de Jupiter. Selon un spectateur, on sentait "l'ivresse du succès parisien" monter à la tête de quelques-uns. Dans ce délire moderniste, il ne manquait somme toute que les anciens.

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