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DU TEXTE À L'ÉCRAN
C'est un défi de taille, en ces jours sombres pour l'écriture,
qui devient le parent pauvre de la culture multimédia, de vouloir rendre
attrayants le texte et la pensée sur le réseau internet. Il y a de la forte
compétition : les images, les sons, les graphiques, les mouvements, la
publicité, etc., ont envahi le monde de la communication. Les esprits sont
modelés par ces moyens de diffusion de l'information beaucoup plus profondément
qu'on le croit. Nous goûtons, nous sentons, nous percevons, nous pensons ce
qui nous entoure avec des sens et une logique façonnés par l'idiovisuel,
oups, l'audiovisuel. Le filtre à travers lequel nous interprétons le monde
est structuré par les images en deux dimensions, le mouvement continuel, la
vitesse excessive, les sons tonitruants. Bref, dans ce monde de l'audiovisuel,
nous avons développé des facultés pendant que d'autres s'atrophiaient.
CONTEMPLER OU REGARDER
Les yeux sont la première source de connaissances disaient
déjà les vieux sages grecs, mais ils ne dédaignaient pas les autres sens
pour autant. Nous avons passablement sacrifié les sources de connaissances à
ce seul sens depuis le début du 20e siècle. L'ouïe a encore sa place, par
la musique assourdissante, mais elle reste loin derrière la vue. On veut voir
et entendre, pas lire et comprendre. On veut sentir des choses, pas réfléchir
sur les choses. Il faut que les images et les sons défilent rapidement et
fortement, sinon on zappe de chaîne. L'ère du clip, du consommer et jeter
après usage est notre apanage. Le temps, dans ce contexte, devient un
obstacle. On manque de temps et on se bat contre le temps, car on ne veut pas
le prendre, de peur de le perdre. De la sorte, on remplit le temps et le
silence, par insécurité sans doute.
LA SUBVERSION
Bon, c'est assez de justification pour cette page de
textes. Les ordinateurs et l'internet sont tout de même de joyeux moyens de
communication qui peuvent pervertir l'idéologie et l'idolâtrie de l'image.
Imaginez, le texte, insidieusement, prend sa revanche sur l'écran. Il en met
plein la vue! L'écran cathodique se remplit de petits signes anodins en
apparence, mais porteur de significations multiples. C'est la révolution
cathodique de l'écrit. Et en plus, l'écriture circule maintenant sur les
lignes de téléphone. Heidegger trouverait cela inouï! D'après lui, le téléphone
représentait la pire invention technologique de l'être humain, qui menaçait
la pensée même.
Avant l'apparition du téléphone, les gens ordinaires écrivaient
des lettres pour communiquer, ils se souciaient de formuler une pensée cohérente
et structurée. Maintenant, tout le monde bavarde. Parle parle, jase, jase.
C'est vrai, il y a des téléphones cellulaires, portables, sans fil, un peu
partout. La pensée cohérente et structurée de l'ère de la lettre s'éteint
dans un murmure continuel de parlotte qui remplit le silence.
Heureusement, avec l'ordinateur, on commence de communiquer
aussi par courrier électronique et clavardage. La lettre reprend sa dimension
de contact entre les personnes, et cela à partir du même moyen de
communication qui devait signifier sa perte : le fil de téléphone.
RÉVOLUTION CATHODIQUE
À bien y penser, c'est cela la révolution cathodique :
lorsqu'on navigue sur internet, on ne parle pas au téléphone et on ne
regarde pas la télévision. C'est déjà cela de gagné. Reste à savoir
maintenant ce qu'on fait sur internet. Continue-t-on à être intéressé par
les images et les sons, le multimédia, ou bien surfe-t-on sur la vague des
mots? À chacun de choisir.