La Lanterne de Diogène

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Des Oranges vertes comme la terre

Je suis allé voir Les Oranges sont vertes il y a quelques semaines. À la fin de la représentation, Lorraine Pintal et son équipe de comédiens sont venus sur le devant de la scène pour nous parler du spectacle. La metteur en scène a alors expliqué qu'elle trouvait le texte de Gauvreau d'actualité en 1998 parce qu'on a encore de la difficulté à reconnaître la voix et la voie de l'artiste dans la société contemporaine dominée par le mercantilisme. Madame Pintal, qui est une des meilleurs metteurs en scène d'après moi, a ajouté que le statut de l'artiste n'est pas reconnu ici au Québec et d'une façon générale en Amérique du Nord.

Les comédiens présents sur la scène, et qui venaient d'accomplir un exploit, sont toujours perçus comme des assistés sociaux à qui l'on fait la charité en leur accordant des subventions pour qu'ils puissent s'amuser à jouer des pièces de divertissement. Les Oranges sont vertes dénoncent cet état de fait. Dans cette pièce, l'artiste crie son amour de la vie, son désespoir d'être incompris et son désarroi devant la récupération de son œuvre.

Madame Pintal nous a dit cela simplement. On a compris que le geste final de la pièce représentait pour elle une attaque contre le confort et l'indifférence qui s'incrustent dans la vie quotidienne, car l'artiste propose une voix et une voie à la différence.

C'était donc cela que j'avais ressenti durant une bonne partie du spectacle. Recroquevillé sur mon siège rembourré de la salle spacieuse du TNM, j'avais mal. Mal d'entendre des propos décousus en apparence, des mots prononcés trop rapidement ou trop bien vociférés, des phrases illogiques, des métaphores hypothétiques, des constructions de propositions qui s'écroulaient en direct, etc. J'avais perdu le fil, le fil de la continuité, de la suite logique d'événements, du récit tranquille qui tisse une trame nette et précise. En fait, j'avais perdu mes points de repère en recevant la logorrhée de Gauvreau. Le flux verbal emportait des pans de la réalité, et rendait même impossible le recours à la réalité. Peu à peu, je sentais les souffrances du poète-critique puisqu'elles me prenaient littéralement. L'humour quelquefois venait donner de l'air frais à cette descente au cœur de la création artistique bouillonnante. Heureusement, car j'avais le souffle coupé devant cette flopée de mots.

Madame Pintal a ajouté qu'elle était particulièrement fière que cette pièce séduise les jeunes. Actuellement, les jeunes sont éduqués dans un système qui met l'accent seulement sur le côté pragmatique des choses. On ne pense qu'à l'utilité des savoirs, des connaissances, des habiletés, et on laisse de côté l'aspect artistique des activités humaines. Il paraît même, a-t-elle supputé, qu'à l'école on utilise des termes de compétence et de performance, comme s'il s'agissait d'une chaîne de montage. La qualité totale en matière d'éducation se certifie par des diplômes, comme le sceau sur les produits. Les élèves, nombreux ce soir-là dans la salle, ont applaudi à tout rompre.

Je me sentais mal aussi par que j'avais peur. Où allait-on avec cette histoire de tableaux qui ne se vendent pas, de critique qui écrit des merveilles, de muses érotomanes, de créateurs fous, etc.? Il s'agissait d'une charge, d'une décharge. Mais de quoi? D'énergie non maîtrisée, non maîtrisable? Un élan désordonné? Il y avait là la peur de se perdre dans le geste créateur d'un autre.

Madame Pintal n'a pas négligé de parler du danger intrinsèque de cette œuvre démesurée : celui d'idéaliser la pièce, même si le texte de Gauvreau conteste d'avance toute récupération. C'est peut-être cela qui lui a permis d'aborder l'œuvre de façon franche et intelligente, tout en gardant une distance critique. Cela ou son immense talent de femme de théâtre.

Moi, je suis sorti du TNM ce soir-là défait, encore plus fragile qu'à l'accoutumé, mais également gonflé à bloc pour parler à mes élèves de l'importance de la création même dans l'apprentissage. Envers et contre toutes les réformes du système d'éducation.

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Guy Ferland