La Lanterne de Diogène
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Ce texte est paru dans La Presse du 11 avril 2002 Les cégeps, encore une histoire de filles? Pourquoi les garçons réussissent-ils moins bien que les filles à l'école? Pour les uns, les causes profondes remontent aux premiers contacts des garçons avec le milieu scolaire. Ceux-ci auraient plus de difficultés que les filles à maîtriser le langage et ils développeraient également un rapport plus conflictuel avec le monde adulte des professeurs, sans compter leur propension à toujours vouloir s’amuser. Ajoutez à cela l'absence quasi totale de modèles masculins tant à l'école qu'à la maison, où ce sont le plus souvent les mères qui supervisent les devoirs, et vous avez tous les éléments réunis pour que la perception positive de l'école soit l'affaire des filles. Cet ensemble de facteurs aurait comme conséquences que les garçons se font plus rapidement réprimander à l'école pour leurs comportements dérangeants et qu’ils sont aussi plus pénalisés dans les premières notations scolaires qui portent principalement sur l'apprentissage du langage. Ces premières expériences négatives sont vite renforcées par le genre d'activités scolaires proposées dans les premières années du primaire qui mettent en valeur des comportements dits féminins (comme les discussions, l'écoute attentive et le bricolage) plus conformes aux normes sociales, au détriment des comportements dits masculins moins contrôlables (comme les jeux compétitifs et les activités physiques). Pour d'autres chercheurs, les problèmes scolaires des garçons proviendraient plutôt de l'éducation populaire masculine qui met en valeur des comportements de confrontation, de lutte, de contestation, de jeu, d'abandon des responsabilités, etc., tant par l'exemple des pères, souvent absents, que par les stéréotypes véhiculés dans les médias et les jeux vidéos. En fait, les modèles sociaux joueraient un rôle central dans l'inadéquation des comportements masculins au milieu scolaire. Encore là, le renforcement serait un facteur central, car l'expérience négative des garçons à l'école rendraient ceux-ci plus enclins au découragement, à l'abandon, à la perception de leurs faiblesses et à la dévalorisation de l'éducation. Ils auraient tendance à s'investir davantage dans les activités plus gratifiantes pour eux comme les sports, les jeux vidéos, les sorties en groupe, les loisirs. Des chiffres alarmants Quelles que soient les causes profondes, les données sont alarmantes, car les garçons sont de plus en plus exclus du monde de l'éducation. Même s'ils ne représentent que 45 % des élèves inscrits au collégial, ils sont en majorité dans les groupes d'accueil et intégration ainsi que dans les cours de mise à niveau en français, et leurs résultats représentent 70 % des échecs aux premiers cours de philosophie et de français, à tout le moins au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse. De plus, à notes égales au secondaire, les élèves masculins vont échouer et abandonner davantage que les élèves féminins au cégep. Pire, depuis le milieu des années soixante-dix, l'écart de réussite entre les garçons et les filles au collégial ne cesse de croître, quelles que soient la scolarité et la classe sociale des parents. Il y a là matière à réflexion. Peut-on fermer les yeux et renvoyer la balle aux ordres d'enseignement antérieurs ? Doit-on affirmer que le problème de l'adaptation des garçons à l'école n'est pas de notre ressort, en soutenant que les mauvaises perceptions inscrites dans l'expérience de onze années passées à l'école de façon conflictuelle sont trop profondes pour être éradiquées ou, à tout le moins, atténuées ? Faut-il faire semblant qu'il n'y a pas de problème en affirmant qu'on enseigne à tout le monde de la même façon, et que ce sont les élèves qui doivent s'adapter à notre enseignement ? Cela représente-t-il un comportement de bon pédagogue ? Des expériences à tenter Par contre, si la réussite de tous les élèves nous préoccupe, il y a là des défis intéressants à relever. Comment enseigner de façon équitable à tous les élèves d'une classe sans défavoriser davantage les élèves en situation de faiblesse ? Comment mieux encadrer les élèves déjà fragilisés par leur expérience antérieure sans léser les autres ? Comment entraîner la participation et susciter la motivation d'une partie d'un groupe sans sacrifier les élèves déjà motivés à apprendre ? Peut-on faire de l'enseignement à deux vitesses dans une classe ? Le doit-on ? Quelques moyens de contourner tous ces problèmes ont déjà été suggérés. On a proposé la formation de groupes homogènes, où les élèves faibles pouvaient se retrouver en moins grand nombre pour que les professeurs puissent mieux adapter leur enseignement. Outre que cette formule stigmatise à l'avance les élèves, les résultats de ces diverses expérimentations n'ont pas été concluantes. Il n'y a pas là d'émulation par les pairs et l'atmosphère des classes en souffre. Certaines personnes ont aussi expérimenté des méthodes pédagogiques proactives, ou par projets, qui devaient favoriser la motivation scolaire tant des élèves forts que des élèves faibles. Les travaux d'équipe, l'appartenance à un groupe qui réussit, les responsabilités réparties entre les élèves, l'émulation par les pairs, etc., tous ces facteurs devaient susciter de l'intérêt, motiver les élèves faibles, favoriser les échanges entre pairs, dynamiser la pédagogie, responsabiliser les moins autonomes, etc. En bout de ligne, ces expériences ont donné des résultats satisfaisants, mais non concluants scientifiquement. Pour être convaincus des bienfaits de cette approche, il faudrait multiplier ces tentatives, utiliser des groupes témoins et faire des recoupements, ce qui demanderait beaucoup de temps et d'argent. Des stratégies pédagogiques variées Une chose semble certaine, cependant : la diversité des approches pédagogiques favorise la participation du plus grand nombre tout en tenant compte de multiples stratégies d'apprentissage des élèves, quels que soient leur sexe et leur rendement scolaire antérieur. Ce qui est digne de mention : tous les élèves inscrits à des cours où l'on mise sur la diversité des activités pédagogiques et différents types d'évaluation augmentent leurs notes. En général, les élèves participent davantage aux travaux ou aux projets d'équipe, ils se sentent plus impliqués dans les activités d'apprentissage, ils créent des liens d'amitié et d'entraide à l'intérieur des classes, ils développent un sentiment d'appartenance, ils deviennent plus responsables à l'égard des autres et de leur propre rendement scolaire. Ainsi, leurs résultats augmentent, sans nuire aux résultats des élèves les plus forts. Évidemment, tout n'est pas rose dans ce type d'approche pédagogique qui demande un investissement de temps et d'énergie plus grand de la part des professeurs et des élèves, mais il y a là une piste de réflexion à explorer pour l'avenir. Qui sait, les garçons ont peut-être plus besoin que les filles de s'investir dans un groupe d'appartenance où «ça bouge» en classe pour mieux réussir ? guyferland@videotron.ca (ENCADRÉ) Le «Projet sur la réussite des garçons : des interrogations, des solutions, une priorité» a été publié dans le rapport Réussir par la Direction des études du Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse en novembre 2001. On peut obtenir un exemplaire en le demandant à la Direction des études. Guy Ferland, professeur de philosophie, et Jean-Pierre Morin, professeur de sociologie, ont consacré une partie de la session hiver 2001 à cette recherche. Il s'agissait de cibler des moyens efficaces qui pouvaient être mis en place pour aider les garçons inscrits au Collège Lionel-Groulx à persévérer et à réussir, ainsi que de recommander l’implantation de projets favorisant la réussite et la diplomation des garçons. À la suite de nombreuses lectures et rencontres avec divers intervenants du milieu scolaire, les chercheurs ont proposé plusieurs mesures : la création à titre expérimental de groupes stables pour la première année en français et en philosophie; l'expérimentation d'un enseignement participatif dans un cours de philosophie; la mise sur pied d'un cours PERFORMA sur la problématique des garçons au collégial; l'envoi d'une lettre de sensibilisation aux parents sur les difficultés d'adaptation au niveau collégial des jeunes en général et des garçons en particulier; la présentation de spectacles d'humour mettant en valeur la réussite scolaire; etc. |