La Lanterne de Diogène

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Ce texte est paru dans le quotidien Le Devoir du mercredi 4 novembre 1992

Le savoir à la carte

Le Conseil des collèges prône un modèle de formation académique sacrifiant la cohérence à la diversité

Saucier; Jean; Ferland, Guy

Département de philosophie, Collège Lionel-Groulx

LES CÉGEPS sont une structure originale et dynamique qui a, dans l'ensemble, permis à plusieurs étudiants et étudiantes d'acquérir une solide formation. Ainsi, après 25 ans d'existence, ce niveau d'étude est parvenu à trouver sa vitesse de croisière et on propose maintenant des changements majeurs (la commission parlementaire sur l'avenir des cégeps s'ouvre aujourd'hui à Québec) qui risquent de retarder d'autant l'atteinte de sa pleine maturité qui, de l'avis de plusieurs, est en bonne voie de réalisation.

En outre, les cégeps contribuent de façon importante à l'essor de l'ensemble de la société québécoise et il ne faudrait pas risquer de mettre en danger un tel apport parce que certaines lacunes n'ont pas encore été corrigées à l'intérieur des programmes d'études de niveau collégial.

D'ailleurs, le dernier rapport du Conseil économique du Canada, publié presque au même moment que celui du Conseil des collèges, affirme que les problèmes majeurs de formation ne se situent pas d'abord au niveau collégial et, qu'au contraire, les cégeps permettent à leurs étudiants et étudiantes d'acquérir une formation dont la qualité est indéniable. D'où vient alors cette volonté de tout mettre sur la table? Nous laissons à d'autres le soin de répondre à cette question.

Quant au cœur même du problème, c'est-à-dire le modèle de formation qui soit le plus approprié pour les collégiens et les collégiennes, le Conseil des collèges, entre autres, propose d'orienter les études collégiales vers une formation fondamentale. Cette formation est évidemment primordiale en ces temps de changements où certaines valeurs importantes sont remises en question.

De plus, dans notre société, les choix offerts aux individus sont de plus en plus nombreux et il apparaît important de fournir au jeune les outils nécessaires pour l'aider à prendre les décisions appropriées et non pas celles qu'on veut lui imposer.

Nous touchons ici au cœur du problème. Les études de niveau collégial doivent en effet donner accès à cette diversité de plus en plus grande du savoir tout en s'assurant, en même temps, que cette diversité sera un enrichissement réel pour le jeune. Il est bien sûr facile de présenter aux collégiens et collégiennes une multitude d'informations sur des sujets variés; il est cependant plus difficile de faire en sorte que ces informations soient une contribution stimulante et significative pour favoriser une meilleure formation fondamentale. Ce qu'il faut se rappeler, c'est que la personne demeure essentiellement un tout indivisible constamment à la recherche de réponses concernant des problèmes précis, mais aussi à la recherche de solutions plus globales. L'individu doit ainsi s'alimenter intellectuellement à plusieurs sources pour comprendre le monde qui l'entoure, mais il faut demeurer conscient que l'accès plus large à la diversité des informations n'est pas automatiquement un gage d'une meilleure préparation pour prendre les décisions qui s'imposent.

C'est là que le rapport du Conseil des collèges nous semble incohérent. Il propose un accès plus large, plus diversifié au savoir mais, en même temps, il suggère de restreindre la possibilité pour le jeune de comprendre, comme individu autonome, la valeur et le sens de ces différents savoirs.

Le rapport propose en effet de couper de moitié les cours de philosophie au cégep afin de permettre l'accès aux informations véhiculées par le plus grand nombre possible de disciplines. Loin de nous la volonté de discuter de l'opportunité d'être en contact avec ces informations; au contraire, plus elles seront nombreuses, plus les chances d'un développement de la conscience personnelle seront grandes.

Toutefois, ces chances diminuent grandement si les jeunes reçoivent toutes ces informations à un même niveau et s'ils demeurent incapables de vraiment les apprécier, les juger et les intégrer dans leur vie; pourtant, c'est à cette seule condition que de telles informations peuvent être une contribution réelle à leur formation fondamentale.

De plus, en faisant passer le nombre de cours de philosophie de quatre à deux, les auteurs du rapport font un choix très discutable, car si l'objectif poursuivi est la formation fondamentale, comment diminuer l'importance de ces cours, lorsque l'on sait que l'objectif premier et presque unique de la philosophie est justement un objectif de formation fondamentale. Même si tous les cours peuvent contribuer à cette formation, seule la philosophie pose directement les questions de sens ou les questions englobantes qui débordent chacune des disciplines prises séparément. Seule la philosophie soulève les problèmes qui traitent de l'humain ou de l'individu pris dans son ensemble. La philosophie apparaît donc une discipline de premier plan pour contribuer à la formation fondamentale, car elle est une réflexion sur la vie dans son ensemble en même temps qu'une démarche critique permettant de mieux comprendre les grands principes à la base de l'organisation de la réalité. Elle peut ainsi aider le jeune à donner une signification aux éléments d'information parfois disparates que lui présentent les autres disciplines du savoir; elle devient de la sorte une voie privilégiée vers une réelle formation fondamentale.

Cette démarche propre à la philosophie est absolument nécessaire pour favoriser l'autonomie individuelle, premier signe d'une formation fondamentale adéquate. Limiter cette possibilité pour favoriser la diversification du savoir, c'est faire le choix d'une formation générale plus ouverte, mais pas nécessairement mieux intégrée dans l'esprit du jeune.

À la limite, pour permettre aux jeunes d'approfondir leur formation fondamentale, il aurait été plus logique de penser en termes d'accroissement du nombre de lieux où ils auraient pu assimiler, intégrer et discuter la diversité des informations. Plus précisément, il aurait peut-être été possible d'améliorer la qualité de la formation fondamentale en offrant, parmi les cours laissés au choix des étudiants et étudiantes, un cours de philosophie adapté à leur concentration. Un tel choix aurait eu l'avantage de fournir au jeune un lieu supplémentaire pour assimiler et intégrer dans sa vie la multitude d'informations qu'on lui offre.

En outre, une telle orientation nous paraîtrait plus cohérente avec tout le mouvement actuel, dans les universités américaines entre autres, où l'insistance durant les premières années d'études est mise sur des cours de base et obligatoires, des cours centrés sur l'être humain, sur les choix fondamentaux qui confrontent toute personne, des cours en quelque sorte sans autre objectif que d'assurer une meilleure formation fondamentale.

Le débat est ouvert et c'est dans cette optique qu'il nous semblait important de souligner que, si la multiplicité du savoir améliore la formation, elle n'est pas un gage d'une formation fondamentale d'une plus grande qualité.