La Lanterne de Diogène

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Ce texte est paru dans l'hebdomadaire Voir le jeudi 20 août 1998

Éducation

La place de la culture dans l'éducation

L'école en mutation

Ferland, Guy

Le gouvernement du Québec insiste sur le rôle intégrateur de la culture dans les nouveaux programmes d'études qui seront implantés, dès septembre 1999, au primaire et au secondaire. Du Michel Tremblay en troisième année? Pourquoi pas?

Le virage qu'entreprendra le ministère de l'Éducation, dès l'an prochain, vers un enrichissement culturel dans l'éducation répond à ceux qui, depuis des années, déplorent le manque de culture et de maîtrise de la langue des Québécois. Et ces critiques ne datent pas d'hier; le Frère Untel signalait déjà, au début de la Révolution tranquille, que le fait de parler joual supposait qu'on pensait joual. «Du moment qu'on se comprend, c'est suffisant», répliquent souvent les jeunes d'aujourd'hui qui ne veulent pas élargir leurs horizons.

Pour briser ce joug de «l'idéologie de l'ignorance» qui s'est installé au Québec au fil des ans (pensez au slogan du Réseau des sports cet hiver: «Ici, nous ne produisons pas d'émissions culturelles»), le ministère de l'Éducation a entrepris une refonte majeure des programmes et des curriculums en visant explicitement un rehaussement du niveau culturel de l'enseignement.

En se basant sur les conclusions de groupes de travail (les rapports Corbo et Inchauspé, entre autres), la ministre de l'Éducation, Pauline Marois, faisait connaître, l'an dernier, un Énoncé de politique éducative qui engage tous les niveaux d'enseignement à des changements profonds. L'argument qui justifie ce coup de barre est le suivant: «Les savoirs que l'école doit faire acquérir ne sont pas le fruit d'une génération spontanée. Ce sont les productions accumulées par les générations précédentes, dans les divers domaines du monde culturel: arts, lettres, sciences, techniques et mode de vie. Si l'école nourrit ainsi l'élève de culture, c'est pour lui permettre de s'adapter et de s'insérer plus rapidement dans ce monde, monde d'une extrême complexité où il faut vivre. Mais c'est aussi pour qu'il construise par elle une identité intellectuelle et personnelle afin qu'à partir de cette base il soit à son tour innovateur et même créateur.» (Rapport Corbo)

Prose combat

La lutte contre le plus petit dénominateur commun intellectuel à l'école va ainsi s'engager sur plusieurs fronts. Sans entrer dans les détails techniques, il y aura dans les prochaines années une augmentation d'heures de cours de l'enseignement du français, tant au primaire qu'au secondaire, et plus de cours d'histoire et d'art. De plus, on mettra davantage l'accent sur le contenu culturel et historique dans toutes les disciplines, que ce soit en français, en anglais, en mathématiques, en sciences, en histoire, en géographie et en art. Au secondaire, par exemple, dans les cours de français, on devra lire un minimum de quatre œuvres littéraires complètes par année, et on accordera une attention particulière au cadre historique et à la réalité artistique des textes étudiés. De même, on privilégiera une perspective culturelle dans l'enseignement des sciences et des technologies, au primaire et au secondaire.

Dans la même foulée du renforcement de la culture des Québécois, le ministère de la Culture et des Communications et celui de l'Éducation ont conclu, en avril 1997, un protocole d'entente qui vise à diffuser la culture auprès des jeunes. Afin de promouvoir la vie culturelle à l'école, les ministères s'engagent donc à soutenir des programmes qui permettent «la mise en place de mesures et d'activités favorisant la fréquentation des lieux de culture et la connaissance des œuvres», comme les Tournées des écrivains, le programme Artistes à l'école, les activités parascolaires, les sorties culturelles, etc.

Toutes ces mesures éducatives seront mises en application progressivement jusqu'à l'an 2004. Une Commission des programmes et un «programme des programmes» assureront un suivi et un cadre de réalisation à ces changements de l'enseignement.

La réforme à tâtons

On peut se demander, toutefois, si ces belles intentions, qui répondent à des besoins réels, sont réalisables dans un contexte de réduction des dépenses gouvernementales. Surtout quand on entreprend, en même temps, des modifications des structures scolaires. «On vient de réduire le nombre de commissions scolaires, de couper plusieurs conseillers pédagogiques, et de réorganiser la structure scolaire avec la création des conseils d'établissement, qui posséderont un grand pouvoir d'orientation dans les écoles, précise Christiane Villeneuve, conseillère pédagogique à la commission scolaire de la Pointe-de-l'île. Pour l'instant, on ne sait pas quel sera l'impact de ces changements sur les programmes d'études.»

Du côté des professeurs, on attend encore les directives précises du ministère en ce qui a trait au contenu enrichi des cours. Outre l'imposition de quatre œuvres complètes à lire au secondaire, il n'y a pas encore de changement dans la pratique des enseignants. Actuellement, l'enrichissement culturel est laissé à l'initiative personnelle des professeurs. «Plus un professeur est cultivé, plus il fait des liens entre sa matière et les autres et plus il entreprend des activités culturelles avec ses élèves», conclut Mme Villeneuve. «Les professeurs sont pratiquement les seuls maîtres à bord, confirme Laurent Jouvet, enseignant en français à l'école secondaire Antoine de Saint-Exupéry. Concrètement, on ne sait pas ce qui se fait dans les autres cours. Certains professeurs ne font pas lire du tout de livres, alors que d'autres prétendent faire lire trois mille pages à leurs élèves.»

Difficile dans ce contexte d'imaginer comment les contenus d'enrichissement culturel des nouveaux programmes pourront être contrôlés. Et c'est sans compter «qu'on ne peut pas obliger un élève du secondaire à acheter quatre œuvres par an, en plus de ses manuels de cours, ni à payer un billet pour aller au théâtre, ajoute M. Jouvet. De plus, on n'a pas le droit de visionner un film en classe sans payer les droits. Ce qui grève le budget de l'école.» Évidemment, ce manque d'argent pour supporter les nouvelles directives en éducation va se faire plus cruellement sentir dans les milieux où les parents ne peuvent pas payer les frais supplémentaires pour les activités culturelles, pour l'achat de livres et de billets de théâtre.

Au primaire, on retrouve la même situation face à la réforme. «Outre le nombre d'heures de cours en français, en anglais et en histoire, qui va changer, on attend encore l'information précise sur l'enrichissement des contenus culturels dans les programmes», affirme Suzanne Laforce-Leduc, enseignante en deuxième année à l'école Joseph-de-Sérigny. «En fait, les activités d'enrichissement qui se font actuellement, telles que les sorties éducatives, les défis mathématiques, etc., sont réalisées à partir de l'initiative personnelle de professeurs, de conseillers pédagogiques et de directeurs d'école, précise-t-elle. Habituellement, on doit faire des campagnes de financement pour payer ces sorties et ces activités.»

On le constate, l'école québécoise est en pleine mutation, comme la société qu'elle reflète. La volonté du ministère de l'Éducation de relever les exigences et de rehausser le niveau culturel répond à des besoins pressants. Reste maintenant à voir comment on va procéder, et si les sommes nécessaires seront investies dans ce tournant vers une meilleure réussite des élèves. Car, comme le disait si bien Jacques Godbout dans un article célèbre intitulé L'Idéologie de l'ignorance, c'est l'enrichissement culturel qui procure un enrichissement économique, et non l'inverse.