La Lanterne de Diogène

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La Presse, Forum, samedi 9 décembre 2006, p. PLUS4

Ah! la vie!

La grande fiction

Quand on atteint la quarantaine, on fait toutes sortes de simagrées pour rester jeune, ou avoir l'air jeune

Ferland, Guy

La vieillesse fait peur. Personne ne veut vieillir. Quand on atteint la quarantaine, on fait toutes sortes de simagrées pour rester jeune, ou avoir l'air jeune. On ne veut surtout pas passer pour un "has been", quelqu'un qui ne l'a plus. On ne veut pas que son corps lâche à la face du monde.

On cherche alors par tous les moyens à prouver sa valeur. On voudrait séduire à tout prix. On aimerait performer encore partout. On regarde les plus jeunes et on s'habille comme eux. On s'inscrit à des cours afin de revivre les joies estudiantines. On réalise des projets invraisemblables pour montrer qu'on a encore de l'énergie et des ambitions. On prend soin de son corps: on fait de l'exercice; on entreprend des diètes; on s'applique des crèmes contre les rides et le vieillissement de la peau; on va même tenter quelques coups de bistouri, histoire de masquer le passage du temps.

La quarantaine, c'est la période de la grande fiction qu'on se conte à soi-même et qu'on voudrait faire croire aux autres. On désire garder le même dynamisme et le même rythme de vie qu'on avait plus jeune. On aimerait posséder du temps devant soi afin de réaliser tous les projets et les rêves qu'on avait échafaudés dans sa jeunesse.

L'adage dit: "Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait." À quarante ans, on est au carrefour de cette alternative. On croit savoir certaines choses et on s'imagine encore capable d'accomplir mille et un exploits. Pourtant, on sait peu de choses et on est moins fringant qu'on ne se l'imagine.

En fait, il n'y a pas de mal à rêver et à vieillir. C'est ce que l'être humain fait le mieux. Pourquoi alors, à quarante ans, commence-t-on à rêver d'arrêter de vieillir? Serait-ce le rêve ultime? Ou serait-ce plutôt parce qu'à partir de la quarantaine notre capacité de rêver diminue et qu'on voudrait aussi que notre capacité de vieillir s'amenuise d'autant?

Pourtant, on pourrait continuer de rêver, et même rêver de plus en plus, tout en poursuivant sa vie. Ce n'est pas la vieillesse qui devrait empêcher les rêves, même si parfois le corps fait obstacle à la réalisation de certains projets.

À quarante ans, on ne peut plus espérer devenir le plus grand joueur de tennis de l'histoire, ni faire la fête tous les soirs. On peut difficilement reprendre des études scientifiques ou espérer remporter des compétitions olympiques. Ou redevenir jeune, beau, attrayant et athlétique comme dans ses belles années de la vingtaine.

Cependant, on peut continuer de rêver et de réaliser des projets à sa portée. C'est justement là où la sagesse de notre expérience d'une quarantaine d'années sur terre devrait s'avérer positive. On devrait mieux se connaître, mieux connaître ses possibilités et mieux gérer ses énergies afin d'atteindre des objectifs plus réalistes que de se fixer comme seul et unique but de redevenir jeune.

Ce rêve de la jeunesse éternelle, qui fait qu'on voudrait avoir l'apparence de ces vingt ans même à cinquante ans, représente le mythe moderne par excellence: ne jamais vieillir, ne jamais mourir.

Mais la mort, c'est peut-être justement de mourir à ses possibilités réelles afin de se projeter dans le rêve commercial de jouvence de tous les produits de beauté qui font miroiter un portrait de Dorian Gray dans nos miroirs et notre mémoire.

Le remède? Il n'y a pas de remède, car il n'y a pas de maladie à soigner. Ou plutôt si, il y a peut-être un remède à la crise de la quarantaine: rêver mieux et vieillir mieux, sans artifices de toutes sortes.