La Lanterne de Diogène
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«Les gens qui vont aux exécutions capitales participent à l'action du bourreau» (Flaubert) Les bourreaux de travail sont parfois aussi leur propre victime. Lorsqu'on demande aux élèves de travailler à l'extérieur de la classe davantage que la norme prescrite par le Ministère dans les pondérations de cours, non seulement on peut contribuer à leur échec et à la hausse du taux d'abandon, mais aussi à l'alourdissement inutile de notre tâche. Prenons un exemple concret pour illustrer ce propos. Lors de la dernière Commission des Études, le représentant des élèves a fait remarquer que le dernier chiffre de la pondération des cours ne représentait pas réellement le temps de travail demandé aux élèves par les professeurs. Il donnait en exemple un cours où la prescription ministérielle est de deux heures par semaine alors que les profs qui enseignent ce cours demandent un minimum de dix heures… Le représentant des élèves a précisé que cet état de fait est courant dans les cours de programmes où on doit effectuer un travail plus imposant que celui calculé par le Ministère. D'où le débordement exigé à l'extérieur de la classe. Cela entraîne des effets pervers qui seraient à évaluer. D'abord, les élèves en viennent à négliger les cours de la formation générale, car ils préfèrent réussir leurs cours de programme. C'est le représentant lui-même qui l'a dit à la Commission des Études, et c'est très compréhensible. Ensuite, penser que le dernier chiffre de la pondération représente un minimum de travail à la maison constitue une erreur et un danger. Une erreur, car le Ministère prescrit ce temps en calculant une moyenne qui s'inscrit dans un ensemble de la charge de travail d'une session. Si on calcule le nombre d'heures totales de travail demandées à un élève par semaine, en additionnant toutes les heures prescrites (en classe, en laboratoire, en stage et travail à la maison), on obtient une moyenne de 40 heures. Ce qui représente la semaine de travail régulière des élèves. En ajoutant des heures à ce total, on impose aux élèves de faire des choix entre l'abandon de cours, la négligence dans d'autres disciplines ou la procrastination qui conduit à l'échec. On se met la tête dans le sable en s'imaginant que les élèves vont réaliser ce travail supplémentaire sans sacrifier quoi que ce soit. Mais quel est l'effet le plus pervers? En augmentant les exigences du cours par rapport à ce que le Ministère demande, on contribue à l'alourdissement de sa tâche d'enseignant et on dégrade ses propres conditions de travail. Au lieu de forcer le Ministère à diviser les objectifs trop nombreux du cours en ajoutant un autre cours, on fait la preuve qu'on peut prendre sur soi, en dehors des heures prescrites, un alourdissement des objectifs et de la tâche. Cet alourdissement des objectifs du cours ou des heures de travail exigées conduit les élèves à des abandons qui réduisent le taux de diplomation à long terme. C'est alors que le Ministère a beau jeu d'exiger une augmentation du taux de «réussite»… Ainsi, le Ministère presse deux fois le citron (ou la poire?), en l'occurrence le professeur, en exigeant qu'il fasse réussir plus d'élèves tout en acceptant une surcharge de travail qu'il s'est lui-même imposée. D'un côté, en exigeant plus de travail à l'extérieur de la classe que ce que le Ministère prescrit lui-même, on contribue à la diminution du taux de réussite et de diplomation, de l'autre le Ministère demande de corriger cette situation qu'on a soi-même en partie créée. Les Anglais utilisent l'expression se «peinturer dans le coin» pour décrire une situation pareille. En français, on peut dire qu'on est toujours son propre bourreau… |