La Lanterne de Diogène

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Le français full cool!

Guy Ferland
Professeur de philosophie et ex-professeur de littérature au Collège Lionel-Groulx

Le Devoir, Édition du samedi 22 et du dimanche 23 mai 2004

«Bienvenue au département de la langue morte!» C'est ainsi que m'accueillit un professeur expérimenté du département de français du Collège Lionel-Groulx, il y a quelques années. «Tu verras, poursuivit-il, enseigner le français aujourd'hui, c'est comme enseigner le latin naguère. Les élèves apprennent par cœur des règles qu'ils mettent rarement en pratique par la suite parce qu'ils n'écrivent pas et ne lisent pas. Mais ils ont vu tous les films américains de l'heure et la chair, pour eux, n'est pas encore triste...»

Ce pédagogue caustique avait raison sur toute la ligne. L'enseignement du français écrit va à l'encontre de la réalité des jeunes d'aujourd'hui. Le taux d'échec au premier cours de littérature au collégial, qui se situe à près de 40 %, en témoigne. Dans certains cégeps, les échecs atteignent même des sommets faramineux de 60 % à ce premier cours.

L'enseignement du français fait problème à plusieurs égards. D'abord, on stigmatise les pauvres pécheurs. On ne tape pas avec un marteau sur le même clou sans laisser de marques. C'est pourtant ce que croit le ministère de l'Éducation, qui s'acharne à faire apprendre aux élèves les mêmes choses pendant plus de 11 ans au primaire et au secondaire.

Si l'enseignement du français pendant toutes ces années avait échoué aussi lamentablement que le laissent entendre les résultats des élèves au cégep, on pourrait difficilement corriger le tir en quelques mois au collégial. Surtout en réprimant davantage les élèves pour les fautes qu'ils ne sont pas encore parvenus à expier !

On se donne ainsi bonne conscience en étant pour la vertu. Le français est devenu une quasi-religion dans la société. C'est un des derniers bastions du désir d'éternité, de pureté. On voudrait que les élèves atteignent la perfection d'une faute aux 30 mots afin de réussir l'épreuve uniforme ministérielle en français, qui sanctionne le diplôme collégial. Mais avant d'atteindre ce ciel paradisiaque, il y a une hécatombe. Les élèves pécheurs doivent se racheter. Ils doivent montrer leurs papiers immaculés aux nouveaux clercs de la foi du français écrit.

Et le rite de passage se déroule deux fois l'an, dans d'immenses locaux, presque des sanctuaires. Pendant quatre heures et demie, les apprentis scribes s'échinent sur des palimpsestes obscurs : les élèves passent l'épreuve uniforme finale ! On sent ici des relents moyenâgeux...

Le pire, c'est toute la quincaillerie mise en place pour administrer cette immense messe du français écrit partout à la grandeur de la province. Çà et là, on donne des cours de mise à niveau en français, des reprises, des reprises conditionnelles, des cours d'appoint, des ateliers de préparation à l'«épreuve», sans compter la création d'innombrables centres d'aide en français, où les élèves vont se confesser sur une base volontaire ou obligatoire. [...]

Mais pourquoi les élèves échouent-ils davantage en français que dans les autres matières ? C'est qu'ils sont aux prises avec une langue étrangère en plus d'avoir parfois affaire à des censeurs de l'immaculée conception littéraire.

Notre intolérance?

Et si les problèmes du français écrit des jeunes reflétaient plutôt notre incapacité à comprendre que la langue écrite change, comme le monde ? Et si les fautes de français commises par les élèves n'étaient que de petits péchés véniels plutôt que des semences d'hérésie profonde ? Et si notre intolérance au moindre manquement au code cachait plutôt un désir de contrôle des plus jeunes et un besoin de prouver que nos efforts pour parvenir à une certaine maîtrise de la langue écrite en valaient la peine ? Et s'il n'y avait pas des problèmes aussi graves en français écrit qu'on veut bien le laisser entendre mais plutôt le désir de montrer qu'on détient la vérité ?

Il faudrait peut-être se dire collectivement que le français n'est pas notre langue maternelle. C'est plutôt le québécois qu'on entend dès la naissance. La langue parlée est le québécois, ce qui ne signifie pas une langue inférieure, une langue diminuée, mais une langue propre, autre, différente, qui possède un accent et contient de nombreux anglicismes. Est-ce mal ?

Plus tard, on apprend à écrire en français, et c'est là que se situe le problème. Le québécois ne s'écrit pas, sauf de façon folklorique en joual, que personne ne parle vraiment de toute façon. On ne parle pas plus le français, mais on doit apprendre à imiter ses signes écrits. Parler à la française ou écrire en québécois, voilà deux options qui ont prévalu un certain temps dans certains milieux au Québec. Ce furent deux échecs, contraires à notre réalité.

Depuis la réforme de l'enseignement collégial (1994), on veut enseigner non seulement le français écrit sans fautes mais aussi la structure de texte à la française dans un moule ou un carcan étrangers. On multiplie ainsi par deux la difficulté d'écrire dans une langue étrangère, pour ne pas dire morte, comme l'affirmait le vieux professeur. Et cela, c'est sans compter l'influence hénaurme (comme l'écrirait Flaubert) de l'audiovisuel dans la vie des élèves.

Pas étonnant alors qu'on atteigne des taux d'échec aussi faramineux au collégial dans la seule matière qui soit enseignée depuis la première année du primaire.