Achetez à jeter

Les publicitaires et les professionnels du marketing nous veulent du bien. Ils veulent littéralement notre bien

Ferland, Guy

Achetez, achetez, achetez. C'est la litanie nouvelle. Pas une seconde sans sollicitation de toute part. Que ce soit en allumant le téléviseur, en ouvrant un journal ou une revue, en naviguant sur Internet, en répondant au téléphone, en parcourant le globe en voiture ou en avion, partout la publicité inonde le marché mondial.

George W. Bush l'a bien dit au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Continuez de vivre en consommant. Ne vous laissez pas intimider par les terroristes. Achetez. La liberté passe par l'acquisition de biens matériels. La résistance civile s'incarne dans la consommation. Il faut continuer de faire tourner l'économie. Sinon, le monde va s'écrouler!

Pour parodier un titre célèbre: être, c'est avoir. Si on ne possède rien, on est peu de chose. Cela représente le jugement dernier des banquiers sur les gens: combien vaut une personne? La somme de ses actifs.

En réalité, les publicitaires et les professionnels du marketing nous veulent du bien. Ils veulent littéralement notre bien Ils tiennent à ce que nous soyons plus heureux en possédant plus de bidules, même à crédit. Le bonheur réside dans l'achat, dans le pouvoir de dépenser, affirment-ils.

Selon ces spécialistes, quand on résiste à cet embrigadement, quand on refuse d'acheter du neuf en prolongeant la durée de vie de biens de consommation, on jette du sable dans l'engrenage et on ralentit l'économie. On peut bien être pour la simplicité volontaire mais, ce faisant, on appauvrit le système et on augmente le chômage!

Ainsi, si on croit les chantres de la mondialisation, par solidarité avec nos confrères humains, il faudrait consommer davantage, même si les produits manufacturés sont de plus en plus fabriqués en Chine. Pour augmenter le niveau de vie des Chinois, on devrait jouer notre rôle de superconsommateurs. Tôt ou tard, les Chinois vont atteindre notre rythme de vie et l'économie mondiale va passer à la vitesse supérieure. Finalement, tout le monde sera heureux dans un vaste marché planétaire dominé par les grandes entreprises.

Bien sûr, il continuera à y avoir des inégalités et des injustices, mais tous les humains de la terre pourront enfin consommer et être heureux, insistent-ils. Certains seront plus heureux que d'autres, car ils pourront consommer davantage, mais plus personne ne sera dans l'indigence sans pouvoir acheter quoi que ce soit. Alléluia!

Qu'est-ce qui pourrait nous rendre plus heureux que la consommation? Le partage? Le partage de connaissances, de points de vue, de sympathie et de compréhension entre les êtres humains de cultures différentes? Ou "pire", le partage des richesses de la terre?

Mais cela ne se vend pas, le partage! C'est même le contraire du commerce. Partager au lieu de posséder et d'accumuler, donner au suivant au lieu de garder pour soi, serait-ce le geste subversif par excellence dans le monde de la consommation à outrance? Serait-ce une façon de penser aux autres et même à ceux qui ne sont pas encore là, mais qui vont hériter de nos actions présentes?

Pourrait-on être heureux en consommant moins? Pourrait-on atteindre le bonheur sans accumuler des biens jetables? Juste d'y penser, cela me donne envie d'aller acheter quelque chose