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Ce texte est paru dans la revue Voir du 8
Janvier 1998
L'école suit son cours...
Le défi des enseignants
Ah! Les jeunes... Ils ne savent rien, ils ne
connaissent pas leur langue, ils ne sont pas cultivés, ils ne veulent rien
apprendre. Ignares, ils se satisfont de leur bêtise. Ils se complaisent dans
leur univers étroit balisé par la télévision d'un côté et par la musique
américaine de l'autre. Leur enseigner quelque chose d'un peu substantiel
devient rapidement une mission impossible.
Ils ne veulent pas entendre parler de
culture, encore moins de culture francophone. Lorsqu'on ose prononcer ces mots
maudits, ils sortent le revolver de leur indifférence. Lorsqu'ils voient un
film québécois ou français, ils se sentent immédiatement dépaysés. Il leur
faut de l'action, du mouvement, de la musique forte, de la rapidité. Aussitôt
que quelque chose semble s'étendre un tant soit peu en longueur, sans images
impressionnantes ou musique tonitruante, cela devient inintéressant. Tasse-toi
mononcle...
Comment capter leur attention dans ce
contexte? Comment les intéresser par le travail lent et souvent fastidieux de
la culture et des sciences? C'est à ce genre de problèmes que font face les
enseignants à l'aube du XXIe siècle. Comment intéresser les jeunes à autre
chose que l'univers douillet et insouciant de Walt Disney, des jeux vidéos, des
films américains, de la musique rock, des jeux sur ordinateurs et des émissions
américaines?
On le constate dans cette description
caricaturale de la situation scolaire, il y a une lutte de pouvoir entre deux
mondes, deux cultures, deux perceptions de la réalité. D'un côté les jeunes
qui grandissent dans une société du spectacle où dominent l'image et le son,
et de l'autre les moins jeunes» qui vouent un culte à l'écriture, au discours
articulé, à la mémoire.
D'une part le monde de la vitesse d'exécution,
de la nouveauté à tout prix, de l'innovation, du spectaculaire, du flamboyant,
de l'esthétisme à la Walt Disney en somme, basé sur l'irréalisme et la pensée
magique de la bande dessinée; d'autre part le monde de la pérennité, de la
stabilité, de la permanence, de la durabilité, basé sur le respect de la
continuité historique.
Faut-il vraiment choisir dans cette
alternative ou s'agit-il plutôt d'un faux dilemme qui cache une réalité plus
nuancée, car les professeurs de tout temps sont plus modérés et pratiques
dans leur façon d'enseigner. Ils composent pour la plupart avec la réalité à
laquelle ils sont confrontés : des élèves souvent démotivés, démoralisés,
désincarnés presque, mais qui ne demandent que de se faire éveiller par du
contenu solide présenté de façon originale.
Sans se soumettre bêtement aux goûts du
jour, il est sûrement possible de donner une instruction de base solide avec
les nouveaux moyens de transmission de connaissances et de rendre n'importe
quelle matière intéressante. Mais, des deux côtés de la classe, il faut
faire des efforts. Hénaurme, comme dirait Flaubert avec un clin d'œil, ou
comme écrirait un élève d'aujourd'hui sans se douter de sa référence littéraire...
Le défi de l'école
L'école est en crise pour plusieurs raisons.
La société évolue à un rythme effarant. Les progrès scientifiques et
technologiques poussent les éducateurs et les travailleurs à se renouveler
sans cesse. La famille ne tient plus qu'à un fil, le plus souvent qui casse en
plein milieu de l'éducation des enfants. Les valeurs humaines ne se
maintiennent que difficilement dans un contexte socio-économique en
bouleversement.
La mondialisation des marchés, les
inforoutes, le libre-échange, l'automatisation des tâches, l'évolution
technologique, la performance, la qualité totale, la productivité, la
compétitivité,
toutes ces expressions et bien d'autres ont remplacé dans notre imaginaire
collectif celles issues des idéaux humanistes de naguère comme la société
des loisirs, le développement de la personne, la réalisation de soi, le droit
au travail, le plein emploi, la sécurité d'emploi, etc.
Mais est-ce à dire que la formation des
futurs citoyens ne devrait être axée que sur l'efficacité à courte vue et
qu'on ne devrait former que des travailleurs compétents dans leur domaine spécialisé
pour concurrencer la compétition internationale? Faudrait-il restreindre l'éducation
des travailleurs à un champ de compétences étroit pour répondre aux demandes
ponctuelles du marché du travail?
Au contraire, il semble de plus en plus évident
que la formation générale doit être le terreau dans lequel plongent les
racines d'une formation spécialisée efficace. Dans une société en constante
mutation, les travailleurs intellectuels ou manuels doivent pouvoir s'adapter
aux nouvelles situations avec une ouverture d'esprit sur le monde et le
changement. Ils doivent pouvoir situer les choses dans leur contexte pour
comprendre la réalité complexe dans laquelle ils évoluent.
Mais comment adapter l'école à ces
nouvelles exigences de spécialisations croissantes tout en tenant compte d'une
mission de formation fondamentale des citoyens d'aujourd'hui? Comment concilier
la formation en vue du marché du travail de plus en plus technocratique, spécialisé,
stressant et déshumanisant, et la formation du citoyen éclairé qui pense par
lui-même? Comment donc l'école pourra-t-elle arriver à harmoniser la
formation d'un être humain équilibré qui soit en même temps préparé aux
changements continuels dans son travail et dans son milieu de vie?
Aucune école ne peut enseigner des compétences
aux nouveautés technologiques qui viendront immanquablement révolutionner le
travail d'un secteur donné, mais elle peut préparer les individus à faire
face aux changements en leur ouvrant les perspectives, en leur montrant autres
choses que des notions dans leur domaine pointu de spécialisation, en leur
faisant voir d'autres dimensions à la réalité humaine que l'aspect purement
matériel et utilitaire des connaissances, en leur permettant de côtoyer du
neuf, de l'insolite, bref en sortant les élèves de leur champ de savoir.
L'éducation ne doit pas être qu'un moyen
d'acquérir des compétences en vue d'un emploi dans un domaine spécialisé
sans aucune ouverture sur le monde extérieur, car le marché du travail demande
justement des employés qu'ils soient polyvalents, autonomes, responsables et
ouverts.
Alors le professeur, tel un funambule, essaie
de garder l'équilibre sur le fil de fer tendu entre l'école en crise et le
marché du travail en mutation. Sous lui, il n'y a pas de filet de protection de
la société qui ferait unanimité pour le soutenir. Devant lui, il n'y a que
des élèves qui attendent qu'un guide, avec la tête bien faite plutôt que
bien pleine, leur ouvre des voies les plus larges possibles vers un avenir
incertain mais rempli au moins d'espoir et de compréhension.
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Guy Ferland
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