La Lanterne de Diogène

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Les croyances sur les croyances des professeurs

Ce qui étonne d'abord quand on provient d'un autre milieu que celui de l'éducation, c'est le mépris manifesté à l'égard des enseignants de la part des élèves certes, mais aussi de la part des dirigeants du système d'éducation, ce qui paraît plus troublant.

Combien de fois entendons-nous des dirigeants, directeurs, fonctionnaires ou même ministres, manifester de la dérision à propos d'attitudes de professeurs? Comme si les ennemis publics numéro un qui bloquent la transmission du savoir et du goût du travail intellectuel étaient ceux-là mêmes qui sont chargés de cette mission ! Comme si ceux qui empêchent la réussite scolaire des élèves étaient ceux-là mêmes qui y travaillent?

Prenons comme exemple les propos émis par le regretté Ulric Aylwin, réputé consultant en pédagogie, sous le titre évocateur du ton de son article : Les Croyances qui empêchent les enseignants de progresser, in Pédagogie collégiale, octobre 1997, Vol. 11, no 1. Ce texte nous a été transmis par la direction en janvier dernier.

Dès le départ, le choix du titre et l'attaque de l'article sont significatifs. En effet, le titre pourrait laisser croire que certaines de nos croyances nous empêchent de progresser. Et comme "l'alternative pour l'enseignant, sur le plan pédagogique, est de croître ou de dépérir", nous pourrions penser que nous allons nécessairement dépérir si nous nous laissons aller à ces croyances. M. Aylwin s'appuie sur Freud pour avancer cette hypothèse.

On n'a pas beaucoup de choix dans cette alternative : progresser ou dépérir. Se profile, derrière cette présentation manichéenne de la profession, le mythe fondateur du mépris à l'égard des professeurs : les enseignants ne font rien, ils donnent toujours les mêmes cours et ne songent jamais à se perfectionner. En fait, ce sont des paresseux qui trouvent dans leurs conditions d'emploi une barricade qui protège leur sinécure.

Par la suite, M. Aylwin affirme, comme si cela constituait un paradigme, que la relation "maître-élève prolonge, et parfois dépasse, la relation parent-enfant". En effet, il nous a tous été donné de constater des tentatives de rapprochements de la part d'élèves dans l'exercice de notre profession, mais donner prise à ce prolongement de la relation familiale peut entraîner des conséquences fâcheuses et dénaturer les rapports maître-élève.

Fort ce cette mise en situation qui devrait nous saisir de l'urgence de modifier nos comportements de professeurs et nous sensibiliser à l'importance de notre rôle primordial dans l'évolution des jeunes, M. Aylwin entreprend de démolir nos supposées croyances de professeurs encrassés dans la mollesse généralisée.

Croyances relatives aux capacités des élèves (intertitre de M. Aylwin)

La première croyance néfaste serait de penser que les "échecs scolaires sont inévitables". Tous ceux qui pensent ainsi devraient se sentir coupables et suspects aux yeux des inquisiteurs pédagogiques, car ils se privent d'une série de mesures didactiques qui visent à faire réussir tous les élèves.

Pire encore, les professeurs qui croient qu'"il serait inadmissible que tous réussissent". Là, c'est l'anathème, car les malheureux qui adoptent cette croyance en enseignant vont à l'encontre de leur mission : faire réussir tous les élèves.

Il est vrai qu'on entend parfois des professeurs proférer des paroles semblables, mais faire peser le soupçon que ces enseignants font exprès de faire échouer un certain nombre d'élèves et de donner des notes faibles seulement dans le but de baisser la moyenne de leurs groupes tient presque de l'injure.

Par ailleurs, la croyance que les élèves ne peuvent pas corriger eux-mêmes leurs travaux constitue une tare congénitale irréparable, semble-t-il. En s'appuyant sur cette opinion, bon nombre de professeurs se surchargent de corrections et privent l'élève d'"une part essentielle de son apprentissage qu'est sa propre démarche d'évaluation de chacun des gestes mentaux qu'il accomplit". Quelle cruauté mentale! On sait que les nombreux gestes mentaux accomplis par les élèves dans un cours demandent une démarche d'évaluation assidue…

Foin de ce charabia pédagogique, il y a pire encore. Il y a ceux, nombreux, qui doutent de la motivation d'apprendre des élèves. Oh! La, la. Ceux-là sont à clouer aux piloris.

En pensant ainsi, les méchants professeurs muent "le goût d'apprendre et la joie de connaître [de l'élève] en bas marchandage où chacun cherche à obtenir le plus possible en donnant le moins possible". Quelle engeance, ces professeurs, qui transforme l'or brut de la motivation des élèves en suie noire du troc effort contre note. Les alchimistes n'auraient pas fait mieux.

En y pensant bien, le bulletin de mi-session et les taxes à l'échec vont-ils dans ce sens du vil marchandage de l'effort contre des notes? Sûrement pas. Seuls les professeurs sont passibles de lèse-majesté.

Croyances sur le contenu à enseigner

Maintenant, passons aux choses sérieuses. Les croyances des professeurs sur le contenu à enseigner. Là, M. Aylwin y va de caricatures qui témoignent du jugement extérieur condescendant à l'égard des professeurs.

D'abord, il soutient que certains professeurs croient "devoir passer tout le contenu indiqué dans la table des matières du programme et […] se place[nt] ainsi dans un carcan où il[s] se prive[nt] de toute marge de manœuvre". Comme si certains professeurs n'avaient pas assez de jugement pour élaguer et faire le tri dans le programme en regard de ce qu'ils peuvent enseigner à des élèves pas toujours préparés en 15 semaines de cours.

"Dans les cas où il faut choisir entre les éléments du contenu et les besoins des élèves, ce sont ces derniers qu'on sacrifie." Il s'agit là d'une caricature éhontée due à une perception négative du corps enseignant, sans doute. "Sacrifier des élèves" tient du vocabulaire religieux dans ses côtés sombres.

"On ne prend pas le temps de combler les lacunes de la formation antérieure des élèves." Autre reproche qui s'adresse sans doute plus particulièrement aux professeurs de français qui devraient combler les carences en français des élèves qui n'ont rien appris pendant les 11 années antérieures… Mince tâche. Il s'agit là d'une caricature, évidemment…

"Il est essentiel que chaque élève, à l'intérieur de chaque période de cours, soit fréquemment confronté, par une forme quelconque d'évaluation formative, aux résultats des gestes mentaux qu'il accomplit[…]". Encore les gestes mentaux! Est-ce seulement réaliste de penser ainsi? À chaque période de cours, 30 élèves devraient être évalués (même de façon formative) plusieurs fois?

"On limite l'emploi des méthodes actives." Ici, il y a beaucoup de mépris. On a déjà dénoncé au début le préjugé voulant que les professeurs n'aiment pas les activités puisqu'ils sont paresseux. Ils font pire, puisqu'ils limitent même les activités des élèves. Ouf!

Finalement, le professeur est une personne imbue de son savoir puisqu'il se considère "le dépositaire des connaissances énumérées dans le programme et s'estime obligé de transmettre lui-même l'intégralité de ce contenu", sans pouvoir faire d'aménagements dans son cours.

Outre la paresse, les professeurs se voient affligés de suffisance, de manque de jugement, d'incapacité à s'adapter à leurs classes et d'inaptitude à faire face aux "difficultés surgies en cours de route". Encore heureux que les élèves sortent presque sains d'esprit du système d'éducation qui les met dans les mains de cette engeance dangereuse…

Mais il y a encore pire d'après M. Aylwin, réputé consultant en pédagogie, rappelons-le. Il y a tous ces professeurs inconscients qui profèrent des paroles impies du genre : "J'ai un contenu à passer."; "il y a trop de contenu"; "les élèves sont débordés"; "le programme est surchargé"; etc. Ce qui laisserait entendre que ces professeurs prennent leurs élèves pour des cruches à remplir de contenu. D'où "la tendance à l'encyclopédisme", c'est-à-dire à l'accumulation de matière à passer, et le recourt systématique (80% du temps) aux indigestes cours magistraux.

Toutes ces croyances néfastes des professeurs reposent sur le supposé article de foi : "la connaissance est un objet qui existe en dehors du cerveau de la personne qui la conçoit".

En effet, si tel était le cas, les élèves n'auraient plus qu'à recevoir la connaissance, comme la foi jadis, du haut de la chair des professeurs… Mais quels professeurs croient encore à la révélation divine de la connaissance?

En s'attaquant à ce présupposé de la manière d'enseigner des professeurs d'aujourd'hui, M. Aylwin témoigne surtout de sa profonde méconnaissance du milieu, ne serait-ce que parce qu'il ignore les activités d'apprentissage des plans cadres des disciplines qui placent les élèves au cœur de leur pédagogie.

Conclusions

Ce que dévoile le texte du consultant en pédagogie en s'attaquant aux supposées croyances des professeurs, c'est surtout un profond mépris et une méconnaissance des efforts des enseignants pour rendre leur matière attrayante et stimulante pour les élèves.

Quand on dit qu'on pourrait changer la perception de l'éducation en utilisant des métaphores pour qualifier le professeur comme étant un jardinier, un chef cuisinier, un chef d'orchestre ou un médecin, et que cela aurait pour effet de faire "ressortir d'une manière saisissante l'absurdité de nombreuses pratiques courantes en pédagogie", on insinue là carrément la non-compétence des enseignants.

Évidemment, M. Aylwin fait la promotion en fin d'article des thèses cognitivistes, la "nouvelle" panacée dans le monde de l'éducation. Ces thèses ont fait leurs preuves et il ne s'agit pas là de croyances à rejeter, comme celles des professeurs. On va même offrir des cours aux enseignants pour faire la promotion de ces thèses. Cela va donner de l'emploi aux consultants en pédagogie qui ont réussi à extirper le mal là où il résidait : dans le cœur sans foi ni loi des mécréants professeurs qui ne s'étaient pas encore convertis aux nouvelles croyances du monde de l'éducation…

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Guy Ferland