Ce texte est paru dans La Presse du dimanche
9 juillet 2006 à titre de lettre de la semaine.
Le projet de toute une vie
Les ingrédients
d'un mariage durable et les pièges de la vie moderne
Ferland,
Guy
Julie et moi allons célébrer notre 25e anniversaire de mariage cet été, le 11
juillet. De nos jours, cela représente quasiment un exploit. Autour de nous,
c'est l'hécatombe: presque tous nos amis sont séparés, divorcés, seuls ou en
couple reconstitué. Déjà, il y a plus de 20 ans, quand nous avons commencé à
étudier à l'université, nous étions vus comme un vieux couple ringard. On disait
de nous que nous avions sacrifié notre liberté et notre jeunesse pour la vie
enchaînée à deux. Aujourd'hui, nous formons une famille unie avec deux enfants.
Évidemment, la vie de couple n'est pas une sinécure en ces temps de frivolité et
d'individualisme indécrottable. Pour durer, un couple doit affronter les pièges
de la société moderne et surmonter bien des obstacles. Eh! non, la vie à deux,
et à quatre maintenant avec les deux enfants, ne se résume pas à une aventure
tumultueuse et toujours passionnante. On doit faire des sacrifices et des
concessions, et abandonner certains rêves. Il n'y a rien de négatif à cela.
C'est d'ailleurs là l'un des premiers pièges que nous tend la société moderne
avec sa conception de l'amour-passion. Maintenant que la résignation religieuse
est passée de mode, on considère que tout affaiblissement du sentiment amoureux
constitue un échec. L'amour entre deux personnes doit être fou braque ou ne pas
exister. Pas de concession ou d'accommodement raisonnable envisageable. La
moindre diminution du désir est vue comme un symptôme d'impasse et mène souvent
à la rupture.
Un jardin secret?
Un deuxième piège de la société moderne consiste en la croyance qu'il faut à
tout prix conserver un jardin secret, un espace vital de vie séparé de l'autre.
On ne doit pas tout partager au péril de perdre son identité! L'autre pourrait
détruire notre sacro-sainte vie personnelle s'il s'immisce partout...
Pourtant, la vie de couple peut être autre chose qu'un projet parmi tant
d'autres. Ce peut être le projet de toute une vie. C'est un peu comme le
bonheur. On ne l'acquiert pas, ce n'est pas un bien de consommation qu'on peut
acheter au coin de la rue: on le construit petit à petit.
En somme, une vie de couple réussie n'est jamais tout à fait réussie et
parfaite. C'est en cela qu'elle constitue une aventure sans certitudes. C'est
peut-être là le dernier piège de la vie moderne: chercher la perfection dans
l'autre, chercher l'âme sœur idéale afin d'atteindre le bonheur sans limites.
Tout cela est utopique. Comme pour le bonheur et la famille, la vie de couple
est d'abord une question d'attitude, d'ouverture à l'autre, de laisser-aller,
d'acceptation des événements qui se présentent sans qu'on le veuille
nécessairement.
La vie de couple, ou la vie familiale, est faite de renoncements à ce qui aurait
pu être s'il n'y avait pas eu le bonheur de construire justement cette vie de
couple enrichie. Vivre à deux, à trois ou à quatre, c'est vivre une expérience
différente de celle de vivre en célibataire. Et c'est sûrement le premier piège
à éviter: un couple implique que les deux êtres célibataires deviennent autre
chose que deux individus ensemble. Un couple, c'est une nouvelle identité à
chaque jour en construction et qu'on ne maîtrise pas. Depuis 25 ans, je m'y
abandonne totalement.
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