La Lanterne de Diogène

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Ce texte est paru dans le quotidien La Presse du samedi 16 septembre 2006

Le culte du sang

Il faudra bien un jour s'interroger sur les origines et les conséquences de la culture trash et gore chez les jeunes

Ferland, Guy

L'auteur est professeur de philosophie.

Lorsque j'ai commencé à enseigner dans un collège de la banlieue cossue de Montréal, il y a 15 ans, j'étais loin de me douter de ce qui m'attendait. Après seulement deux semaines de cours, un élève est venu à mon bureau pour m'avouer que son plus grand rêve serait de revenir le lendemain au cégep avec une mitraillette et de tirer sur toutes les personnes présentes dans la cafétéria... Il a accompagné sa déclaration solennelle d'un rire sardonique et est parti en courant.

J'ai eu le réflexe, alors, d'avertir ma coordonnatrice de département. Après? Je ne me souviens plus très bien, ou plutôt je tente de ne plus m'en souvenir. Je sais que la coordonnatrice a pris les choses en mains. Elle a immédiatement averti les autorités du Collège qui ont avisé les policiers sans tarder. Les policiers ont fait leur travail et ils ont intercepté l'individu avant qu'il ne commette l'irréparable.

Qu'est-il advenu de cette personne dérangée mentalement? Je n'en sais rien. On m'a dit, plus tard, qu'il avait été envoyé dans un institut psychiatrique et qu'il était sous surveillance.

Quinze ans après

Lundi dernier, peut-être par prémonition, j'ai décidé de tenter une expérience pédagogique. J'ai demandé aux élèves d'apporter en classe pour la semaine prochaine des photos d'événements heureux et malheureux qu'ils pouvaient découper dans les journaux, les revues et dans diverses publications. Ce cours-là va porter sur la morale des sentiments, entre autres choses sur la sympathie naturelle décrite par David Hume.

Dans les couloirs, j'ai entendu des élèves discuter entre eux des photos qu'ils apporteraient. Quelques-uns voulaient apporter des photos trouvées sur Internet, leur source de référence majeure et presque unique. En fait, ils voulaient présenter des photos de choses dégueulasses, du style de Jackass, et des photos morbides, comme celles où l'on voit des personnes qui se suicident... Certains parlaient même de bestialité.

Je ne sais pas ce qu'ils vont faire après la fusillade de Dawson. Par contre, je sais que je ne vais pas présenter leurs photos à la classe, mais plutôt les interroger sur leur fascination pour le morbide et ce qui lève le cœur.

Il faudra bien un jour s'interroger sur les origines et les conséquences de la culture trash et gore chez les jeunes. Du culte voué au sang, à la mort et à la " dégueulasserie ". Est-ce parce qu'ils ont tout vu ce que le côté sombre de l'être humain a à offrir à la grandeur de la planète par les guerres en direct, les tueries, les fusillades, les scandales, les génocides, etc., qu'ils sont ainsi? Est-ce parce qu'ils vivent dans un univers ouaté et surprotégé de la banlieue qu'ils sont attirés par la violence qu'ils voient partout à la télévision et au cinéma?

Je n'en sais rien. Ce que je sais, par contre, c'est que les jeunes montrent une tolérance de plus en plus grande envers des images de plus en plus morbides, dégueulasses, sanguinaires, chirurgicales presque, qui circulent à la télévision, au cinéma, dans les jeux vidéo et dans Internet. Est-ce cela qui les désensibilise face à la violence tout en les fascinant?

Ce qui est encourageant, par contre, c'est que cette culture underground ne constitue pas la tasse de thé de la majorité des élèves au collégial. Bien au contraire, la plupart du temps, quand un jeune manifeste sa fascination pour la violence, le sang et les choses dégueulasses en classe, ce sont les autres élèves qui le remettent à sa place. Avec délicatesse et beaucoup de compassion.

C'est d'ailleurs cette attitude mutuelle d'ouverture à l'autre et de compréhension des jeunes en général qui me rend optimiste pour l'avenir, même dans les moments de crise comme ceux qu'on traverse présentement.