La Lanterne de Diogène
|
|
«Écrit public par lequel un chef d'État, un parti, expose son programme ou son action" lit-on dans les dictionnaires. Le genre est utilisé à partir du XIXe siècle comme instrument de contestation. À partir de Tzara de Marinetti, la prise de position contre les institutions est devenue essentielle à la définition. "Intervention-choc écrite et/ou agie faite par un ou des destinateurs minoritaires auprès d'une majorité réelle ou fantasmée dont ils cherchent à forcer l'adhésion à quelque projet esthétique, éthique et/ou politique..." précisent Jeanne Demers et Lyne Mc Murray (l'Enjeu du manifeste, le Manifeste en jeu, p.68). Il peut prendre diverses formes: affiche, tract, placard, dazibao, graffiti... Que son champ d'action soit littéraire, artistique ou social, la fonction du manifeste est politique. Il s'agit de prendre position sans trop se soucier de persuader, d'argumenter ou même de se justifier. Ce qui prédomine est l'urgence. Elle explique peut-être la violence (effet "coup de poing"), le peu de choix du moment (pas d'égards pour les destinataires). Certains manifestes, qui se lancent dans les explications abstraites, sont en réalité plus proches de l'essai. Ex.: le manifeste de l'OULIPO, les manifestes du surréalisme de Breton, le manifeste de la poésie ponctuelle. Le pamphlet, dont les objectifs et la rhétorique ne sont pas éloignés de ceux du manifeste, s'en distingue par son souci de convaincre et la valeur attachée à ses arguments. De plus, il est signé individuellement, fût-ce par un pseudonyme, alors que le manifeste, même signé, émane d'un groupe, se réclame d'une collectivité, présente une équipe. Mais surtout, il prend pour cible des personnes bien précises, souvent nommées. Ex.: Tzara: Hurle, hurle, hurle, hurle..), Desnos: 3e manifeste du Surréalisme (où il ne fait qu'injurier Breton) Autre danger qui guette le manifeste: le ton publicitaire. À l'instar du tract commercial ou politique, le manifeste présente, après quelques explications, d'importants projets, avec l'objectif d'entraîner le lecteur à acheter ou voter, en quelque sorte. Un optimisme factice s'installe progressivement, avec des qualificatifs qui embellissent. Mentionnons pour terminer un dernier danger qui guette le manifeste: un déplacement temporel. On se situe non plus en deçà de l'avènement décidé mais au-delà, ce qui donne plutôt une proclamation (ex. L.-T. Mesens). L'intervention est tout de même annonciatrice mais moins violente vu que le travail est donné comme déjà tout fait. Il ne s'agit plus d'une attaque doublée d'explications et de projet mais seulement d'un communiqué révolutionnaire après la prise de pouvoir. Le niveau de langue du manifeste présente une double caractéristique assez typique. Il est à la fois parlé et soutenu. Parlé pour s'adresser plus directement à un auditoire qu'on prend à partie, mais en même temps soutenu, de manière à flatter l'auditoire tout en lui faisant sentir l'élévation du propos et la valeur du projet. Origines et postéritéOrigines. - Le mot apparaît en 1574 au sens de "dénonciation publique", en provenance de l'italien (en anglais, il a gardé la forme d’origine, manifesto). Le roi de Navarre fait publier des manifestes "afin de montrer la justice de sa cause". Du XVIIe au XIXe, il évolue vers un contenu positif et un programme (Brunswick, à Chatellerault). Dès l'origine, le manifeste est un texte politique et un instrument de pouvoir. Le glissement vers l'utilisation littéraire se produit lorsque Sainte-Beuve présente la Défense et illustration de la langue française de Du Bellay comme "le manifeste de l'insurrection d'une génération nouvelle.....se détachant brusquement du passé". Postérité. - Naissance de l'anti-manifeste vers les années 60. Moins de violence. Provocation mais souvent de façon ludique. La réflexion reprend le dessus. Il s'y fait entendre des voix divergentes. Ex.: les deux manifestes de l'Oulipo; le Manifeste différentialiste d'Henri Lefebvre (1960); le Manifeste électrique aux paupières de jupe de Gyl Bert-Ram-Soutrenom F.M. et alt. (1971); De la déception pure, manifeste froid de Bailly, Buin, Sautreau et Velter (1973); l'Acceptation globale de François Benoît et Philippe Chauveau (Québec, 1986). |