La Lanterne de Diogène

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Extrait de Se guérir de la sottise, de Lucien Auger.

SALE ÉGOÏSTE

Les êtres humains ont un plaisir fou à s’accuser réciproquement d’égoïsme. Tout se passe comme s’ils croyaient qu’il est beau et noble de se dépenser magnifiquement dans l’intérêt des autres, et qu’il est vil et méprisable de s’intéresser uniquement à ses propres intérêts. «Je me suis dépensé pour mes enfants», clamera la mère de famille. «J’ai tout fait cela pour toi», s’exclamera le mari déçu. «Il est temps maintenant que je m’occupe de moi après m’être tant occupé des autres», dira la femme de quarante ans. «Sale égoïste, tu ne penses qu’à toi», rugiront une foule immense d’êtres humains irrités.

Nous avons affaire là à une sottise particulièrement tenace et difficile à déraciner. Dans les faits, une observation sans passion permet de constater sans difficulté que la seule motivation susceptible d’amener un humain à agir réside dans la perception de son propre avantage personnel, à plus ou moins longue échéance. Il est donc carrément impossible à un être humain d’agir autrement que de façon égoïste, si par ce terme on entend la démarche qui est motivée par la recherche de l’intérêt personnel. Bien sûr, il est tout à fait possible qu’un acte entrepris en raison des avantages qu’il apparaît comporter pour son auteur en comporte également pour d’autres. Il est même fréquent que l’avantage que voit une personne à poser un geste quelconque soit justement l’avantage des autres.

Mais il est certain qu’en l’absence de toute vision d’un avantage personnel, nul être humain ne pose jamais un acte. Il est possible également que, dans la poursuite de ses avantages, un être humain fasse une erreur et que, finalement, son action ne lui profite pas et ne soit qu’à l’avantage des autres. Mais ça, il ne pouvait pas le savoir avant et on peut être certain qu’un être humain qui est persuadé qu’il n’a aucun avantage à poser un geste ne le posera jamais.

Comme la pensée qu’il est beau et noble d’agir à l’avantage des autres et qu’il est laid et honteux d’agir pour soi-même est très répandue et très ancrée dans l’esprit de nombreuses personnes, à la suite d’une éducation où cette notion leur a été présentée avec insistance, il arrivera très souvent que l’avantage principal qu’un être humain verra à poser un geste résidera dans la fuite de la culpabilité qu’il ressentirait s’il ne le posait pas. La culpabilité étant un sentiment pénible et douloureux à supporter, il est tout à fait concevable qu’un être humain dépense beaucoup d’efforts pour en fuir les morsures, surtout s’il est conscient d’autre part qu’en agissant «pour les autres», il redore son blason et peut légitimement se décerner à lui-même la médaille des bons garçons!

— «Mais, direz-vous, j’entre à la maison après une dure journée de travail. Il faut bien que je prépare le souper pour les enfants, même si ça ne me plaît pas et que j’aimerais mieux m’allonger sur le divan et lire mon journal.

— Pourquoi ne le faites-vous pas? Les enfants attendront, ou se prépareront eux-mêmes quelque chose, ou s’en passeront.

— Non, non. Si je les fais attendre, ils vont se plaindre de façon exécrable et danser autour de moi la danse de la famine. Si je les laisse préparer seuls le repas, ils vont tout mettre à l’envers. Et quelle sorte de mère serais-je si je ne préparais pas le repas de ces pauvres petits?

— Mais les voilà les avantages que vous poursuivez en préparant le repas! La fuite des hurlements des enfants, l’avantage d’avoir une cuisine plus en ordre dans une heure, l’image positive de la bonne mère qui, malgré sa fatigue et son mal de tête, prépare le souper pour sa marmaille. Voilà pourquoi vous préférez préparer le repas plutôt que vous reposer. Ne voyez-vous pas que c’est votre propre intérêt que vous poursuivez ainsi, que votre démarche n’a rien d’altruiste, qu’elle est «bassement» intéressée? Vous me dites que, si vous le pouviez, vous vous reposeriez. Mais vous le pouvez. Chassez les enfants dans la rue, fermez l’oreille à leurs cris lamentables, étendez-vous sur le divan et lisez votre journal en sirotant un apéro. Tout cela, vous pouvez le faire et si vous ne le faites pas, ne vous racontez-vous pas à vous-même que c’est parce que vous en êtes incapable. Dites-vous la vérité : vous préférez préparer le repas pour tous les avantages que vous voyez à le faire. Vous ne le faites pas pour les enfants, mais bien pour vous-même. Il n’en est jamais autrement et il n’en sera jamais autrement. Finies les médailles pour les bons garçons et les bonnes filles. Elles sont toutes remplacées par la petite plaque où s’inscrit le mot égoïste que chacun d’entre nous porte depuis sa naissance, même s’il essaye plus ou moins adroitement de la dissimuler et de persuader les autres que lui n’en a pas. Foutaise et baliverne. Vous n’avez jamais fait, ne faites rien et ne ferez jamais rien pour les autres sans que vous croyiez y trouver vous-même un avantage. Et plus vous hurlerez que la chose est pénible et ardue, plus on pourra conclure que grand est l’avantage que vous croyez trouver à la faire ou du moins grand le désavantage que vous pensez éviter en la faisant. Sur ce point, Mère Teresa de Calcutta hébergeant les miséreux et le tyran envoyant à une mort cruelle des millions de personnes ne diffèrent pas. Tous deux agissent en fonction de ce qui leur apparaît avantageux pour eux, complètement déterminés par la poursuite de leur propre plaisir.

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