Le
péché originel et la chute de l’humanité
Pendant
la plus grande partie de son histoire, l’humanité a vécu, en toute
crédulité, dans le paradis de l’ignorance. Elle a cru être le centre
physique de l’univers et aussi, en quelque sorte, le centre philosophique
de ce dernier. Selon sa conception de la réalité, tous les astres
tournaient littéralement autour de la Terre. L’univers était d’abord
constitué de la Terre, en son centre, ainsi que du Soleil, de la
Lune et des cinq planètes visibles à l’œil nu (Mercure, Vénus, Mars,
Jupiter et Saturne) qui tous tournaient autour de la Terre à des
distances différentes. Ensuite, les étoiles étaient toutes situées
à la même distance de la Terre, étalées sur une sphère centrée sur
la Terre et nommée « voûte céleste ». L’univers était
donc d’une taille assez petite pour être saisissable par l’entendement.
De plus, tout dans l’univers entretenait des rapports de signification
avec l’humanité (pensons à l'astrologie). Jusqu’au jour où
l’humanité croqua le fruit défendu de la connaissance scientifique…
Elle fut alors précipitée hors du paradis de l’anthropocentrisme,
de l’anthropomorphisme et du narcissisme par quatre grands coups
de pied successifs au…
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PREMIER
COUP DE PIED : COPERNIC ET L’ASTRONOMIE
L’HUMANITÉ
N’EST PLUS LE CENTRE PHYSIQUE DE L’UNIVERS
L’astronomie,
depuis les travaux de l’astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543),
nous enseigne que la Terre n’est pas le centre de l’univers. Aujourd’hui,
nous savons non seulement qu’il en est ainsi, mais en plus que la
Terre est complètement insignifiante dans l’univers ! Le Soleil,
qui est une étoile ordinaire, a un diamètre 100 fois plus
grand que celui de notre planète et une masse 330 000 fois plus
grande que celle de notre planète. L’univers observable contient
entre 50 milliards et 100 milliards de galaxies, chacune contenant
en moyenne quelque 100 milliards d’étoiles…
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DEUXIÈME
COUP DE PIED : DARWIN ET L’ÉVOLUTION
L’HUMANITÉ
N’EST PLUS LE CENTRE PHILOSOPHIQUE DE L’UNIVERS
La
théorie de l’évolution, formulée initialement par le naturaliste
et biologiste anglais Charles Darwin (1809-1882) et sans laquelle
toutes nos connaissances en biologie perdent leur sens, nous enseigne
que nous sommes apparus seulement par hasard, et donc que nous aurions
très bien pu ne jamais exister… Cela n’aurait fait aucune différence
du point de vue de l’univers !
Si
la théorie de l’évolution dérange tant, même encore en ce début
de troisième millénaire, c’est qu’avec sa venue l’humanité est passée,
en simplifiant, du statut de « raison d’être de l’univers »
au statut « d’accessoire accidentel et extrêmement récent ».
L’humanité a cessé d’être une nécessité de la réalité : elle
est devenue contingente sur tous les plans. Vanitas vanitatum,
et omnia vanitas (« vanité des vanités, et tout est vanité »)…
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L’HUMAIN
EN TANT QU’ACCESSOIRE ACCIDENTEL ET EXTRÊMEMENT RÉCENT DE LA RÉALITÉ
L’univers
a un âge estimé à 15 milliards d’années et la Terre à 4,6 milliards
d’années. Quant à notre espèce, Homo sapiens, elle n’existe
« que » depuis environ 100 000 ans. Si l’on associe les
débuts de la civilisation aux débuts de la sédentarisation, de l’agriculture
et de l'élevage, à la fin de la dernière période glaciaire,
alors la civilisation humaine a « à peine » 10 000 ans.
Et l’invention de l’écriture remonte « à seulement »
6000 ans.
Peut-on
comparer ces nombres en apparence incomparables ? Oui ! L’existence
d'Homo sapiens représente les derniers 0,000 7 % de l’histoire
de l’univers et les derniers 0,002 % de l’histoire de la Terre...
Autrement dit, 99,9993 % de l’histoire de l’univers et 99,998 %
de l’histoire de la Terre se sont écoulés sans la présence de notre
espèce. La civilisation est dix fois plus jeune que notre espèce
et l’écriture l’est encore davantage. Notre espèce a vécu 90 % de
son histoire avant les tout premiers balbutiements de la sédentarisation,
de l’agriculture et de l'élevage. Elle a vécu 94 %
de son histoire sans jamais lire ni écrire.
On
pourrait chercher à se consoler en se disant que le groupe des hominidés
est plus ancien que notre espèce. Notre espèce a bien eu des ancêtres
! Les tout premiers hominidés seraient apparus il y a environ 5
millions d’années. C’est à cette époque qu'aurait vécu l’espèce
qui est l’ancêtre commun d'Homo sapiens et des chimpanzés
actuels. On constate alors que 99,97 % de l’histoire de l’univers
et 99,9 % de l’histoire de la Terre se sont écoulés avant l’apparition
des tout premiers hominidés, donc sans aucune présence humaine…
Ajoutons, pour bien finir d’enfoncer le clou dans le cercueil de
l’anthropocentrisme et de l’anthropomorphisme, que l’univers a vécu
les deux tiers de son histoire avant la naissance du Soleil et de
la Terre...
Nous
pouvons tirer une conclusion de cette réflexion. Appelons « monde
spirituel » tout ce qui relève de l’esprit humain (perceptions,
entendement, représentation mentale de la réalité,
raisonnement, imagination, émotions). Nous constatons que
le « monde matériel » n’a nullement besoin du « monde
spirituel » pour exister. Au contraire, c'est l’existence du
« monde spirituel » qui dépend entièrement du « monde
matériel », puisque c’est le « monde matériel » qui
engendre le « monde spirituel » (et non l'inverse). Voir
aussi « l’analogie
du piano et de la mélodie ». Nous aurions pu intituler
cette section « le monde spirituel en tant qu'accessoire
accidentel et extrêmement récent du monde matériel. » Le
« monde spirituel » aurait très bien pu ne jamais exister…
Cela n’aurait fait aucune différence du point de vue du « monde
matériel » !
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TROISIÈME
COUP DE PIED : FREUD ET L’INCONSCIENT
L’HUMANITÉ
N’EST PLUS MAÎTRE D’ELLE-MÊME
La
psychanalyse d’abord, fondée par le médecin et neurologue autrichien
Sigmund Freud (1856-1939), puis la psychologie moderne aujourd’hui
nous enseignent que nous ne sommes même pas maîtres de notre comportement :
celui-ci est fortement conditionné par des pulsions biologiques
inconscientes. Il nous est impossible de supprimer ces pulsions,
mais au moins – mince consolation – nous avons la capacité de leur
dire « non ». (Est-ce en cette capacité de refus que réside
en partie la liberté humaine ?)
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QUATRIÈME
COUP DE PIED : LORENZ, TINBERGEN ET LA NATURE ANIMALE DU COMPORTEMENT
HUMAIN
L’HUMANITÉ
NE SE DISTINGUE PLUS DU RÈGNE ANIMAL
Finalement,
avec, pour fondateurs, l’éthologiste et zoologiste autrichien Konrad
Lorenz (1903-1989) et l’éthologiste néerlandais Nikolaas Tinbergen
(1907-1988), l’éthologie (c’est-à-dire l’étude du comportement animal)
moderne nous enseigne que la nature de notre comportement, tant
individuel que social, n’est en rien distincte de celle du comportement
des autres animaux. Avec la venue de l’éthologie moderne, la distinction
entre les humains et les autres animaux n’en est plus une de « nature »
mais de « degré de développement ». La part de l’appris
est la plus grande chez l’humain, autant de façon absolue que par
rapport à la part de l’inné. Ainsi l’humain est l’animal qui possède
le plus grand degré de souplesse dans son comportement, donc le
plus grand degré de liberté.
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La
lumière qui a sorti l’humanité des ténèbres… et qui lui fait mal
aux yeux !
Qu’est-ce
que les sciences ont donc de si spécial et de si remarquable pour
avoir permis à l’humanité de sortir de sa rêverie anthropocentrique,
anthropomorphique et narcissique sur la réalité ? Pour avoir permis
à l’humanité de découvrir graduellement de plus en plus de parcelles
de vérité au sujet de la réalité ? Qu’est-ce donc qui place les
sciences radicalement à part des religions et des philosophies dans
la quête de connaissances ? Il s’agit de la fameuse « démarche
scientifique »…
La venue de la démarche scientifique a terriblement troublé
les esprits qui sommeillaient tranquillement, depuis toujours, dans
une rêverie anthropocentrique, anthropomorphique et narcissique.
Elle continue d’ailleurs toujours, aujourd’hui, de déranger. Pourquoi
donc ? Pour trois raisons principales. Premièrement, par ses résultats
solidement soutenus par des preuves, la démarche scientifique nous
force à renoncer à des mythes auxquels nous tenons parfois très
fort. Deuxièmement, elle nous force à remplacer ces mythes par des
théories qui ne nous placent plus au cœur de l’univers, qui
peuvent nous déplaire grandement ou encore défier notre capacité
à imaginer et à comprendre. Enfin, la démarche scientifique
n’est pas démocratique. Elle nous dit qu’elle est la seule démarche
valable pour chercher à connaître le contenu et le fonctionnement
du réel, et en plus elle affirme que les théories issues
de cette démarche forment la seule représentation valable du réel.
Ce texte prétend expliquer pourquoi il en est ainsi.
Précisons
ici que la science ne prétend pas interdire la rêverie.
Le message de la science est plutôt celui-ci : « rêvez
tant que vous voulez, mais faites la distinction entre le rêve
et la réalité ».
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La
double problématique de la quête
de
la « vérité »
La
quête de la « vérité », par l'humain, sur ce
qu'est la réalité et sur comment celle-ci fonctionne,
débute par deux problèmes majeurs. (1) L'esprit humain,
en tant que phénomène émergent de l'activité
naturelle du cerveau (et non en tant qu'entité surnaturelle),
ne vit pas dans la réalité objective, mais dans la
représentation mentale qu'il s'en fait. Cette dernière
constitue un double imparfait de la réalité objective
et n'existe que dans la mémoire. Le seul moyen qu'a l'esprit
d'être en contact avec la réalité objective
est constitué des sens. Privé des sens, l'esprit se
retrouve en isolement complet. (2) La vérité n'est
pas infuse : elle ne se trouve pas déjà cachée
à l'intérieur de l'esprit. L'esprit ne peut donc pas
la trouver par la seule réflexion, par la seule méditation,
ou encore par la seule intuition. La vérité se trouve
à l'extérieur de l'esprit, cachée derrière
les faits objectifs dont l'esprit peut prendre connaissance par
l'entremise de ses sens, ou encore par l'entremise d'instruments
de mesure (télescope, microscope, spectromètre, etc.),
ceux-ci constituant une extension des sens.
Rien
n'assure, donc, que la représentation mentale de la réalité
que développe l'esprit concorde entièrement avec la
réalité objective. Au contraire. L'esprit ne peut
pas tout savoir. L'esprit peut adopter des idées fausses.
Enfin, toute représentation mentale de la réalité
est fragmentée : toute représentation mentale est
constituée d'éléments disparates représentant
différents aspects de la réalité objective.
Ces divers éléments ne forment pas un tout unifié
et cohérent. Bref, toute représentation mentale de
la réalité est nécessairement partielle, partiellement
fausse et fragmentée. La quête de la « vérité
» a pour but de rendre la représentation mentale de la réalité
moins partielle (en y ajoutant de nouvelles idées vraies),
moins partiellement fausse (en y dépistant les idées
fausses pour les retirer) et moins fragmentée (en créant
des liens entre les différents éléments de
celle-ci).
Précisons
ici ce qu'on entend par « fait objectif » : l'existence et la nature
d'un fait dit « objectif » sont indépendantes de nos sensations,
de nos perceptions, de nos connaissances, de l'étendue de
nos connaissances, de nos croyances, de nos désirs et hors
de portée de notre volonté. Un fait objectif existe
à l'extérieur de l'esprit. Un fait objectif existe
en soi, même si personne ne le perçoit.
Cette
double problématique de la quête de la « vérité
» implique qu'il existe un grand potentiel d'erreur pour l'esprit
qui cherche la vérité. Il est donc absolument indispensable
que l'esprit se dote d'une démarche rigoureuse pour chercher
la vérité, afin de diminuer les risques d'erreur.
À cette fin, l'élément central de la démarche
scientifique consiste en la confrontation systématique des
idées aux faits : ce sont toujours les faits objectifs qui
tranchent entre le vrai et le faux. Et non pas les désirs,
les préférences, les opinions, les intuitions ou les
intérêts de qui que ce soit. Si une théorie,
aussi plaisante et cohérente soit-elle, ne concorde pas avec
les faits qu'elle prétend expliquer, alors elle est fausse
et doit être soit modifiée, soit rejetée. D'autre
part, si une théorie concorde avec les faits qu'elle prétend
expliquer, alors elle est considérée vraie et doit
être acceptée, aussi déplaisante ou déroutante
soit-elle. Il est à noter que cette réflexion s'applique
d'abord et avant tout aux sciences de la nature, dites « sciences
pures », que sont la physique, la chimie et la biologie.
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UN
EXEMPLE DE CONFRONTATION DES IDÉES AUX FAITS OBJECTIFS
À
titre d'exemple, discutons des théories créationniste
et évolutionniste sur la vie. Si, comme le prétend
le créationnisme, toutes les espèces avaient été
créées telles qu'elles sont aujourd'hui, sans avoir
évolué au travers des temps, alors on devrait retrouver
des fossiles de toutes les espèces actuelles dans toutes
les couches de roche. Les couches de roche se forment successivement,
par strates, les unes par-dessus les autres au cours des âges.
Les strates les plus profondes sont les plus anciennes, et les plus
en surface sont les plus récentes. Les fossiles d'espèces
qui n'existent pas aujourd'hui, comme les dinosaures, seraient,
selon le créationnisme, les fossiles d'espèces créées
en même temps que les espèces actuelles, mais qui n'auraient
pas survécu jusqu'à aujourd'hui. Si le créationnisme
était vrai, on devrait retrouver des fossiles d'espèces
actuelles dans les mêmes couches de roches où l'on
retrouve des fossiles d'espèces disparues, comme les dinosaures,
puisque toutes ces espèces auraient coexisté aux mêmes
époques.
Or,
la simple observation directe des fossiles révèle
qu'il n'en est pas ainsi : les fossiles que l'on retrouve dans des
strates différentes ne sont pas les mêmes. On retrouve,
par exemple, dans des couches profondes des fossiles de trilobites…
mais aucun fossile de dinosaures, de mammouths ou d'humains ; on
retrouve dans des couches moins profondes des fossiles de dinosaures…
mais aucun fossile de trilobites, de mammouths ou d'humains ; on
retrouve enfin dans des couches encore moins profondes des fossiles
de mammouths et d'humains… mais aucun fossile de trilobites ou de
dinosaures. Cela nous montre que ces espèces n'ont pas coexisté
aux mêmes époques, sinon leurs fossiles se retrouveraient
mélangés dans les mêmes couches de roche (comme
c'est le cas des mammouths et des humains). La simple observation
directe des fossiles nous montre donc, directement, que les êtres
vivants se sont transformés au cours du temps. Enfin, notons
qu'on ne retrouve des fossiles humains que dans les couches les
plus superficielles : cela témoigne que les humains n'ont
pas toujours existé, et qu'ils sont même très
récents dans l'histoire de la vie sur Terre.
Ainsi,
dans cet exemple, les faits objectifs eux-mêmes, que sont
les fossiles, nous révèlent directement, et sans équivoque,
que la vie s'est transformée au cours des âges. La
théorie créationniste est donc nécessairement
fausse, car non en accord avec les faits objectifs qui la concernent.
Si la biologie a rejeté le créationnisme au profit
de la théorie de l'évolution, ce n'est pas une question
d'opinion, de préférence, de choix, d'intuition ou
d'intérêt : c'est une question de faits objectifs.
Être créationniste implique donc nécessairement
de nier les faits objectifs pertinents.
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Qu'est-ce
que la « vérité » ?
Insistons
sur le sens restrictif que nous donnerons au mot « vérité
». Ce mot est en effet porteur d'une charge émotive intense
et peut revêtir une multitude de significations possibles,
selon le contexte. Afin de s'assurer d'une communication adéquate,
où l'auditeur comprend bien ce que l'orateur veut vraiment
dire, il est important de donner une définition unique aux
mots employés, et de se tenir ensuite à cette définition.
Sinon, la communication devient vague et confuse. Nous utiliserons
toujours le mot « vérité » au sens de « ce qu'est
la réalité et comment elle fonctionne », à
l'exclusion de toute autre signification. Nous ne parlerons donc
pas de « vérité » en matière d'éthique
(le bien et le mal), ni en matière d'esthétique (le
beau et le laid), ni en matière du sens ou du but que nous
pouvons donner à notre vie.
Les
sciences ne nous disent pas ce qui est bien ou mal, ce qu'il faut
faire et ne pas faire, ce qui est beau ou laid, ni quel est le sens
ou le but de la vie. Les sciences cherchent à nous dire ce
qui est réel et comment le réel fonctionne. Ajoutons
que la connaissance scientifique n'est ni bonne ni mauvaise en soi
: elle est neutre. Ce qui est bon ou mauvais, c'est ce que nous
décidons de faire… ou de ne pas faire avec le savoir scientifique.
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Religions,
philosophies et sciences
En simplifiant, on peut dire que l'humain, tout au long de son histoire,
a créé trois démarches différentes pour
chercher la vérité sur ce qu'est la réalité
et sur comment elle fonctionne : les religions, les philosophies
et les sciences. Ces trois démarches se distinguent les unes
des autres essentiellement par leur manière de justifier
les idées.
Les religions jugent de la valeur de vérité des idées
en prétendant à la révélation divine
ou encore en ayant recours à l'analogie. L’origine
du phénomène religieux se perd dans la nuit des temps : la démarche
religieuse remonte à la préhistoire.
Les
philosophies, contrairement aux religions, ont recours à
la logique
et font souvent montre d'esprit critique envers les conceptions
de la réalité qu'elles élaborent. La démarche
philosophique est officiellement née avec l’œuvre du philosophe,
astronome et mathématicien grec Thalès de Milet (v. 634-546 av.
J.-C.) Thalès est le premier penseur connu à avoir formulé
une explication non mythologique de la réalité. Selon Thalès, l’eau
était le principe premier qui rendait compte de tous les phénomènes
de l’univers. Les premières tentatives de démarche scientifique
débutent également avec Thalès.
Thalès
de Milet, premier philosophe connu
et
premier précurseur connu des sciences modernes.
Enfin,
pour la démarche scientifique, la raison est nécessaire…
mais insuffisante pour chercher la vérité. Toute idée
doit, en plus d'être cohérente, être en accord
avec les faits objectifs qui la concernent. La démarche scientifique
conserve donc la rigueur de la démarche philosophique, mais
elle complète cette dernière par une confrontation
systématique des idées aux faits objectifs pertinents.
Ce soucis pointilleux de rechercher une concordance rigoureuse entre
la théorie abstraite et la réalité concrète
est absent de la démarche philosophique.
La
démarche scientifique est la seule démarche qui place
les faits objectifs avant les idées, qui donne priorité
aux faits objectifs sur les idées. Rappelons que cela signifie
que ce sont toujours les faits objectifs qui tranchent entre le
vrai et le faux, et non pas les désirs, les préférences,
les opinions, les intuitions ou les intérêts de qui
que ce soit. Si une théorie, aussi plaisante et cohérente
soit-elle, ne concorde pas avec les faits qu'elle prétend
expliquer, alors elle est fausse et doit être soit modifiée,
soit rejetée. D'autre part, si une théorie concorde
avec les faits qu'elle prétend expliquer, alors elle est
considérée vraie et doit être acceptée,
aussi déplaisante ou déroutante soit-elle.
La
démarche scientifique est donc la seule démarche de
recherche de la vérité à être construite
sur la base d'un mécanisme d'autocorrection qui utilise comme
critères
de vérité des faits objectifs indépendants
des humains. Rappelons que ce mécanisme a pour but de diminuer
les risques d'erreurs engendrés par la double
problématique de la quête de la vérité
: (1) l'esprit ne vit pas dans la réalité objective
mais dans la représentation mentale qu'il s'en fait ; (2)
la vérité n'est pas infuse : elle se trouve à
l'extérieur de l'esprit. Voilà en quoi et pourquoi
la démarche scientifique, bien qu'elle ne soit pas parfaite
et qu'elle ne nous donne pas toutes les réponses, est la
seule démarche valable pour chercher à connaître
ce qu'est la réalité et comment celle-ci fonctionne
- que cette démarche soit appliquée telle quelle en
sciences ou qu'elle soit adaptée et appliquée à
la vie quotidienne.
(La justification empirique, c'est-à-dire fondée sur
les faits objectifs pertinents, de cette affirmation est faite à
la section «
La
perspective historique ».)
La
démarche scientifique n'est donc pas qu'une démarche
parmi d'autres pour chercher à connaître le réel,
qui ne serait ni meilleure ni moins bonne que les autres !
Pour
terminer, faisons une analogie. On peut comparer les religions,
les philosophies et les sciences à trois arbres. Les philosophies
et les sciences constituent deux arbres distincts qui, cependant,
partagent les mêmes racines. Les religions constituent un arbre
à part.
Nous
ne parlerons dans ce texte que de la recherche fondamentale, c’est-à-dire
de la recherche de connaissances décrivant et expliquant
la réalité. Nous ne discuterons pas de recherche appliquée, c’est-à-dire
du développement de nouvelles applications et de nouvelles technologies
rendu possible par les découvertes de la recherche fondamentale.
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Les
trois pères fondateurs de la démarche scientifique : Galilée,
Descartes et Ockham
La
démarche scientifique n’a pas toujours existé et n’est pas une évidence
en soi. Elle a dû être délibérément inventée par des gens qui cherchaient
le meilleur moyen humainement possible de découvrir le contenu,
le fonctionnement, les origines et le devenir de la réalité.
On
peut associer des dates et des noms à la création de la démarche
scientifique. Ses trois « pères fondateurs » sont, par
ordre d’importance : le père le plus important, le physicien
et astronome italien Galileo Galilei, dit Galilée (1564-1642) ;
le philosophe, mathématicien et physicien français René Descartes
(1596-1650) ; enfin, le philosophe franciscain anglais Guillaume
d’Ockham (v. 1285-1349). La contribution directe d'Ockham aux sciences
modernes est modeste et se résume en un principe : le
rasoir d'Ockham. Mais cette contribution est fondamentale.
Les
sciences dites « modernes » sont donc véritablement nées
autour de l'an 1600 avec la venue de la démarche formulée
par Galilée. Cette démarche consiste en quatre étapes
: (1) observer et quantifier des faits ; (2) formuler des hypothèses
pour expliquer ces faits ; (3) tirer des prédictions à
partir de ces hypothèses ; (4) vérifier si ces prédictions
concordent avec la réalité par des expériences.
La démarche de Galilée constitue le squelette de la
démarche scientifique.
La
venue de la démarche de Galilée marque une rupture
intellectuelle complète et définitive avec la démarche
religieuse, déjà vieille de plusieurs dizaines de
millénaires. Sa venue marque également une rupture
fondamentale avec la démarche philosophique, déjà
vieille de plusieurs millénaires : avec la venue de la démarche
de Galilée, les humains se mettent à distinguer les
idées vraies des idées fausses par l'observation de
la réalité et par l'expérimentation, et non
plus seulement par des argumentations rationnelles parfois douteuses.
Autrement dit, avec la venue de la démarche de Galilée,
ce n'est plus la raison humaine seule qui tranche entre le vrai
et le faux : bien que la raison humaine ait toujours son mot à
dire, ce sont dorénavant les faits objectifs qui ont toujours
le dernier mot. Avec la venue de la démarche de Galilée,
les humains découvrent que des idées qui, selon toutes
évidences, devraient être vraies, ou encore des idées
qui sont agréables peuvent être fausses (par exemple,
l'idée que la Terre est immobile). Ils découvrent
aussi que des idées qui, selon toutes évidences, devraient
être fausses, ou encore des idées qui sont désagréables
peuvent être vraies (par exemple, l'idée que l'humanité
n'a pas été créée en même temps
que la réalité, mais seulement bien plus tard). Ce
n'est que grâce à la démarche de Galilée
que l'humanité a pu sortir graduellement, douloureusement
et à contre-cœur de sa rêverie millénaire d'une
réalité anthropocentrique et anthropomorphique…
La
musculature de la démarche scientifique, bien accrochée
au squelette qu'est la démarche de Galilée, consiste
essentiellement en cinq principes sur « l'art de bien conduire sa
raison ». Le principe du « rasoir d'Ockham » est le premier de ces
cinq principes à avoir été formulé historiquement
: il faut chercher à décrire et à expliquer
la plus grande diversité possible d'objets et de processus
par le plus petit nombre possible d'idées. Les quatre autres
principes ont été formulés par Descartes :
(1) le scepticisme et la prudence dans le jugement ; (2) l'analyse
; (3) la progression et la synthèse ; (4) l'exhaustivité.
La méthode de Descartes, constituée de ces quatre
principes, a été publiée pour la première
fois dans l'ouvrage « Discours de la méthode pour bien
conduire sa raison et chercher la vérité dans les
sciences
», en 1637. Cette méthode explique de quelle façon
la raison doit procéder pour étudier la réalité,
afin de découvrir graduellement des parcelles de vérité
de plus en plus importantes.
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La
perspective historique
Dressons
un portrait historique de la quête humaine de la vérité sur
ce qu’est la réalité et sur comment elle fonctionne. Notre espèce,
Homo sapiens, existe depuis environ 100 000 ans. Il est raisonnable
de supposer que la démarche religieuse est apparue avec notre
espèce ; en fait, cette démarche est peut-être
même apparue chez des hominidés plus anciens. Homo
sapiens pratique la démarche philosophique depuis environ
2600 ans, ce qui représente les derniers 2,6 % de son histoire,
et la démarche scientifique depuis environ 400 ans, ce qui
représente les derniers 0,4 % de son histoire. Autrement
dit, Homo sapiens a vécu 97,4 % de son histoire en
pratiquant exclusivement la démarche religieuse pour chercher
la vérité sur ce qu’est la réalité et sur comment
elle fonctionne. Il a passé 99,6 % de son histoire à
chercher cette vérité sans la démarche scientifique.
Prenons
le temps de réaliser l'ampleur, l'étendue et la profondeur
des changements qui sont survenus aux niveaux (1) de notre représentation
mentale de la réalité, (2) de notre mode de vie et
(3) de notre environnement, au cours du dernier 0,4 % de notre histoire
(depuis Galilée, vers l'an 1600), pour le meilleur comme
pour le pire, grâce à la démarche scientifique.
Comparons maintenant ces changements avec l'ensemble des changements
survenus à ces trois niveaux, grâce aux démarches
religieuse et philosophique, au cours des 99,6 % de notre histoire
qui ont précédé la venue de la démarche
scientifique. Nous ne pouvons alors que constater, par les faits
et par l'histoire, que la démarche scientifique a une efficacité
et une puissance uniques qui la distinguent radicalement des démarches
religieuse et philosophique !
Notez
que nous venons ici d'utiliser la démarche scientifique elle-même
- confronter les idées aux faits objectifs - pour justifier
l'idée que la démarche scientifique est la seule démarche
valable pour chercher la vérité ! Et ce, bien qu'elle
ne soit pas parfaite et qu'elle ne nous donne pas toutes les réponses.
(La justification théorique de cette affirmation est faite
à la section « Religions,
philosophies et sciences ».)
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DÉMOGRAPHIE
HISTORIQUE
L'efficacité
et la puissance exclusives à la démarche scientifique,
par rapport aux démarches religieuse et philosophique, peuvent
se mesurer, entre autres choses, à l'augmentation historique
de notre démographie.
Population
humaine en - 8000 (débuts de la sédentarisation, de
l'agriculture et de l'élevage) : 5 millions
Population
humaine en - 600 (naissance de la
philosophie ; Thalès de Milet) : 250 millions
L'augmentation
de la population humaine, par un facteur 50, au cours de ces 7400
années est due à deux causes principales qui sont
reliées. Premièrement, la venue de l'agriculture et
de l'élevage a permis d'augmenter les quantités de
nourriture accessibles. Deuxièmement, la sédentarisation
et l'urbanisation ont permis aux humains de vivre en des endroits
plus sécuritaires, où ils sont moins vulnérables
aux conditions climatiques et aux prédateurs, et où
ils peuvent emmagasiner des réserves de nourriture en cas
de disette.
Population
humaine en 1600 (naissance des sciences
modernes ; Galilée) : 400 millions
C'est
vers 1750 que la population humaine commence à croître
exponentiellement. Ce rythme exponentiel de croissance, de 1750
jusqu'à aujourd'hui, est en bonne partie la conséquence,
tout d'abord, de la systématisation (permise, entre autres,
par le développement de la chimie des sols) de méthodes
agricoles empiriques déjà connues (amendement des
sols, rotations des cultures, utilisation d'engrais naturels). À
partir du XVIIIe siècle, les sciences et les techniques vont
jouer un rôle grandissant dans la conservation des aliments
(pasteurisation, chaîne du froid, lutte contre les maladies
et les insectes) et dans leur distribution (accélération
des transports, baisse des coûts). Durant cette période,
de nouvelles terres seront ouvertes à l'agriculture, entre
autres suite à la colonisation des Amériques, de l'Australie
et de la Nouvelle-Zélande par les Européens. Le développement
de la médecine et de l'hygiène va entraîner
une baisse du taux de mortalité infantile et une augmentation
de la longévité. Enfin, la croissance exponentielle
de la population humaine n'aurait pas pu se poursuivre sans une
augmentation parallèle du rendement de la production de nourriture,
permise, à partir du XXe siècle, par l'application
des nouvelles connaissances en physique, en chimie et en biologie.
Population
humaine en 1800 : 1 milliard
Population
humaine en 1930 : 2 milliards
Population
humaine en 1960 : 3 milliards
Population
humaine en 1975 : 4 milliards
Population
humaine en 1987 : 5 milliards
Population
humaine en 2000 : 6 milliards
L'ONU
estime que la population humaine devrait atteindre 9 milliards en
2050 et qu'elle devrait se stabiliser autour de 12 milliards vers
2100... ce qui représente le double de la population actuelle
! Ajoutons toutefois que des calculs plus récents font des
prédictions à la baisse.
Source
(données) : http://www-popexpo.ined.fr/Main.html
(voir « d'un équilibre à l'autre »)
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Partie
1
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