Obstacle 11 sur la page précédente

12 : L’influence des émotions sur l’interprétation

Une personne qui a peur des chiens ne percevra pas (subjectivement) le même chien « objectif » qui se tient devant elle de la même façon qu’une personne qui adore les chiens. Le sentiment de peur ou d’affection qui est associé au chien (monstre ou toutou ?) n’est pas une propriété du chien lui-même, mais de la personne qui le perçoit. Les émotions peuvent nous empêcher d’interpréter les objets et les processus de la réalité pour ce qu’ils sont réellement. Un chien n’est pas un monstre agressif qui ne pense qu’à attaquer les gens, ni un gros toutou poilu qui ne pense qu’à aimer et à être aimé.

Un éthologiste qui étudie le comportement des chiens doit donc être capable de mettre ses émotions de côté, sinon celles-ci risquent de déformer ses conclusions. S’il a peur des chiens, il risque d’interpréter tous les comportements observés comme des manifestations plus ou moins explicites d’agressivité. S’il adore les chiens, il risque d’interpréter tous les comportements observés comme des manifestations plus ou moins explicites d’affection ou de joie. S’il n’arrive pas à faire abstraction de ses émotions parce que celles-ci sont trop fortes, il devra alors choisir un autre sujet de recherche !

Le meilleur moyen de contourner cet obstacle est de travailler en groupe. Les autres nous aideront à détecter l’influence de nos émotions sur notre jugement, et réciproquement.

Retour au haut de la page

13 : L’intuition de véracité ou de fausseté

Il nous arrive de sentir, intuitivement et intensément, que telle idée doit nécessairement être vraie ou être fausse. Cette impression n’a aucune valeur en soi : les sentiments et l’intuition ne sont pas des critères de vérité légitimes. Seuls les deux critères de vérité des sciences sont légitimes pour juger de la valeur de vérité des idées, qu’ils soient appliqués tels quel en sciences ou adaptés et appliqués à la vie quotidienne.

Notons qu’il faut distinguer le contexte de création des hypothèses du contexte de leur justification. Les sentiments et l’intuition peuvent effectivement être de précieux alliés pour créer de nouvelles hypothèses. Mais une fois les hypothèses mises sur la table, il faut absolument mettre de côté les sentiments et l’intuition pour juger de leur valeur de vérité.

Retour au haut de la page

14 : Les croyances implicites

Nous avons tous des croyances implicites. Nous ne sommes pas conscients de l’existence de ces croyances dans notre représentation mentale de la réalité, ainsi celles-ci influencent notre jugement sans que nous nous en rendions compte. Cela peut devenir problématique lorsque vient le temps de juger de la valeur de vérité d’une idée. Le quotidiennocentrisme est un exemple de croyance implicite (et qui ne l’est plus, bien sûr, une fois que l’on est devenu conscient de son existence !) Autre exemple : si je crois implicitement que les espèces évoluent nécessairement vers des formes « meilleures » et que l’humain est la forme la plus parfaite à laquelle devait nécessairement aboutir l’évolution (tout cela est en réalité faux), je n’arriverai pas à comprendre comment le hasard et la sélection naturelle puissent à eux seuls rendre compte de l’évolution. Je risque même d’être incapable de comprendre pourquoi je ne comprend pas cela, puisque ma croyance est inconsciente. Cette croyance implicite oriente – ou plutôt désoriente - mon jugement sans que je m’en rende compte. Je risque de conclure qu’une intention ou une intelligence surnaturelle doit nécessairement présider l’évolution.

Dans la quête de la vérité sur ce qu’est la réalité et sur comment elle fonctionne, il est donc essentiel de chercher à rendre explicites toutes nos croyances implicites. Le meilleur moyen d’y parvenir est de travailler en groupe. Les autres nous aideront à reconnaître nos croyances implicites, et réciproquement.

Retour au haut de la page

15 : Le désir de croire

Notre représentation mentale de la réalité est biaisée par le désir de croire. Nous avons tendance à croire à ce que nous désirons croire et à ne pas croire à ce que nous désirons ne pas croire, peu importe la valeur de vérité des idées en question. Par exemple, beaucoup de gens accordent une certaine crédibilité à l’idée « que nous sommes visités par des extraterrestres » et très peu de crédibilité à l’idée « qu’il est impossible de voyager plus vite que la lumière ». Il faut faire la distinction entre ce qui est effectivement vrai ou faux et ce que nous désirons croire qui soit vrai ou faux. Voir aussi à ce sujet « croyance ou connaissance ? » Le désir de croire est certainement l’un des plus grands obstacles au jugement éclairé.

Par exemple, si une personne qui a peur des chiens se trouve seule face à face avec un chien, elle peut désirer croire que le maître du chien n’est pas loin et va arriver d’un instant à l’autre. Elle risque d’attendre longtemps… Ou encore, au mépris des sensations que ses yeux envoient à son cerveau, elle peut désirer croire que ce chien est effectivement en laisse et accompagné de son maître. Cela s’expliquerait logiquement en supposant que le maître et la laisse sont invisibles ; l’essentiel est d’y croire... Mais sans aller jusque là, la personne pourrait tellement vouloir se convaincre que le chien est en laisse et est accompagné de son maître que lorsqu’elle rentrera chez elle, c’est le souvenir qu’elle conservera effectivement de cette rencontre. Elle pourrait même, avec le temps, en devenir absolument certaine à force de se remémorer ce souvenir fictif. Mais peu importe ce que la personne désire croire, cela n’a absolument aucun impact sur les faits objectifs. La personne a la choix entre accepter la réalité objective telle qu’elle est et agir en conséquence, ou vivre dans ses fantaisies... et agir en conséquence.

Ajoutons que, bien que le désir de croire ne puisse en rien changer la réalité, il peut nous permettre de changer certains aspects de nous-mêmes. Ainsi, si une personne qui a peur des chiens se trouve seule face à face avec un chien, elle peut désirer croire qu’elle n’a pas peur de ce chien… et réussir ainsi à contrôler, voire à vaincre (avec le temps) sa peur.

La motivation première qui engendre la quête de la vérité n’est pas le désir de croire mais le désir de connaître la réalité telle qu’elle est. Cela implique qu’il faut être rationnel, c’est-à-dire qu’il fait juger de la valeur de vérité des idées seulement sur la base de raisonnements corrects (voir les deux critères de vérité des sciences). Il faut également être ouvert d’esprit : il faut être prêt à accepter de rejeter des idées auxquelles nous désirons croire ;  il faut également être prêt à accepter de nouvelles idées auxquelles nous désirons ne pas croire. La vérité ne nous est pas infuse !

Retour au haut de la page

16 : Le conformisme

Nous sommes influençables. Nous avons tendance à croire à ce que les autres croient et à ne pas croire à ce que les autres ne croient pas. Cette attitude permet de renforcer notre sentiment d’appartenance à un groupe. À l’inverse, croire autre chose que ce que les autres croient nous met à part ; nous pouvons alors, à raison ou à tort, nous sentir rejetés. Le conformisme permet également de renforcer notre estime de soi puisque les autres « confirment la justesse » de nos croyances en y adhérant eux-mêmes.

Ainsi, il existe des idées fausses ou très probablement fausses qui sont très répandues. L’astrologie est partout, même dans des médias respectables. Il existe, d’autre part, des idées vraies ou très probablement vraies qui sont peu répandues. Par exemple, peu de gens acceptent le fait qu’il soit impossible de voyager plus vite que la lumière. L’argument « tant de gens ne peuvent pas se tromper » n’a aucune valeur pour la quête de la vérité sur ce qu’est la réalité et sur comment elle fonctionne. Tant de gens peuvent effectivement se tromper !

Dans la quête de cette vérité, il ne faut donc pas avoir peur d’adopter des idées audacieuses, envers et contre tous… à condition que cela soit justifié par une argumentation correcte (voir les deux critères de vérité des sciences) ! Ajoutons que toutes les idées « populaires » ne sont pas automatiquement fausses ; le conformisme peut effectivement nous faire adopter des idées vraies. Mais si nous adoptons nos croyances sur la seule base du conformisme, nous agissons en aveugles et en manchots. Ce n'est alors que par pur hasard que nous adopterons, parfois, des idées vraies. Le conformisme n'est pas un critère de vérité.

Retour au haut de la page

17 : L’identification à ses croyances

Nous pouvons nous identifier à nos croyances, en particulier à celles qui sont centrales (voir « croyance ou connaissance ? ») pour nous. Ce phénomène fait évidemment obstruction au jugement éclairé de la valeur de vérité de nos croyances et des croyances des autres. Il faut faire la distinction entre une critique de ce que nous croyons et une critique de ce que nous sommes.

Dans la quête de la vérité sur ce qu’est la réalité et sur comment elle fonctionne, il faut rester ouvert d’esprit et accepter de réexaminer nos croyances ainsi que, surtout, les argumentations par lesquelles nous les justifions, sans en prendre ombrage personnellement. De même, il ne faut jamais accepter ni réfuter instantanément ou gratuitement une idée qu’on nous propose : il faut toujours la soumettre au préalable à un examen critique et juger de la valeur de vérité de cette idée par une argumentation correcte. Voir les deux critères de vérité des sciences.

Retour au haut de la page

18 : Le besoin de cohérence

Nous éprouvons tous le besoin d’avoir une représentation mentale de la réalité qui ne comporte pas de contradictions internes. Pour ce qui est de la quête de la vérité sur ce qu’est la réalité et sur comment elle fonctionne, le besoin de cohérence est une arme à double tranchant : il peut jouer autant pour nous que contre nous.

Le besoin de cohérence peut être un véritable obstacle au jugement éclairé lorsque nous entretenons des croyances, implicites ou explicites, qui sont erronées mais que nous ne remettons pas en question. Ou encore lorsque nous ne poussons pas nos raisonnements jusqu’au bout. Par exemple, si je crois que Dieu a créé l’univers il y a 6000 ans, selon la chronologie biblique, je devrai également croire que la datation radioactive des roches, qui révèle que la Terre a un âge qui se chiffre en milliards d’années, est erronée. Par conséquent, je devrai aussi croire que la physique nucléaire, qui explique la datation radioactive, est erronée. Or, c’est la même physique nucléaire qui explique – correctement - le fonctionnement des centrales nucléaires et des bombes nucléaires. Comment une théorie peut-elle être erronée et juste en même temps, dans un même domaine (celui de la désintégration des noyaux atomiques, dans ce cas-ci) ? D’une part, si je ne doute pas de mon idée initiale (Dieu a créé l’univers il y a 6000 ans), je devrai, pour être cohérent, rejeter une autre idée qui est prouvée par des faits objectifs (la physique nucléaire). D’autre part, si je ne pousse pas mon raisonnement jusqu’au bout, je ne pourrai pas me rendre compte de l’existence de la contradiction que celui-ci engendre nécessairement !

Par ailleurs, le besoin de cohérence peut être utilisé comme un outil efficace pour faire le ménage de sa représentation mentale de la réalité, à condition de partir de croyances qui soient jugées « très probablement vraies » ou « vraies avec certitude » (par les deux critères de vérité des sciences, que ceux-ci soient adaptés et appliqués à la vie quotidienne ou qu’ils soient appliqués tels quel en sciences), et encore à condition de pousser nos raisonnements jusqu’au bout pour s’assurer qu’ils n’engendrent aucune contradiction. Bien entendu, nos raisonnements doivent en plus être valides, c’est-à-dire respecter les deux principes de la logique et les deux critères du raisonnement. La quête de la vérité sur ce qu’est la réalité et sur comment elle fonctionne n’est pas une démarche facile ni rapide ! Ainsi, je pourrais refaire le raisonnement précédent à l’envers : puisque la physique nucléaire explique correctement le fonctionnement des centrales nucléaires et des bombes nucléaires, elle est juste. Or, la datation radioactive des roches relève de son domaine de validité. Donc la datation radioactive des roches doit également être juste. Par conséquent, l’hypothèse selon laquelle Dieu a créé l’univers il y a 6000 ans doit être fausse, car elle entre en conflit avec les résultats de la datation radioactive des roches. Précisons, pour aller jusqu'au bout de ce raisonnement, que celui-ci réfute seulement la chronologie biblique selon laquelle l'univers a 6000 ans, et non l'idée que l'univers ait été créé par une divinité.

Puisque personne n’est à l’abri de l’erreur, il est humainement normal d’entretenir des croyances incompatibles. Toute représentation mentale de la réalité est nécessairement partielle, partiellement fausse et fragmentée. Lorsque nous découvrons une contradiction interne dans notre représentation mentale de la réalité, il ne faut pas se précipiter à la résoudre sous l’influence de notre besoin de cohérence : on risque alors autant de rejeter l’idée juste que l’idée erronée ! Il faut procéder avec prudence et scepticisme. C’est d’ailleurs ainsi que l’on procède en sciences lorsque l’on réalise que deux théories se contredisent.

Enfin, il arrive que le désir de croire soit plus fort que le besoin de cohérence ; dans ce cas, nous pouvons entretenir obstinément des croyances contradictoires – sans chercher à résoudre le conflit - même si d’autres nous le font réaliser ou même si nous en sommes nous-mêmes conscients. Par exemple, je peux croire qu’Einstein, en tant que père des deux théories de la relativité (restreinte et générale), est l’un des plus grands génies de la physique… et en même temps croire qu’il se trompait lorsqu’il affirmait qu’il est impossible d’aller plus vite que la lumière (cette affirmation découlant nécessairement de la relativité restreinte) !

COHÉRENCE INTERNE ET COHÉRENCE EXTERNE

Précisons qu’il existe deux types de cohérence, que nous nommerons « cohérence interne » et « cohérence externe ». La cohérence interne d’une théorie est le fait qu’elle ne se contredise pas elle-même. La cohérence externe d’une théorie est le fait qu’elle n’entre pas en contradiction avec une autre théorie. Pour ce qui est de la quête de la vérité sur ce qu’est la réalité et sur comment elle fonctionne, la cohérence interne des idées est rigoureusement obligatoire, mais non la cohérence externe. On ne peut pas accepter qu’une idée se contredise elle-même (voir le principe de non-contradiction), mais on peut accepter que deux idées distinctes se contredisent l’une l’autre (voir les deux critères de vérité des sciences).

19 : Le besoin de concordance

Nous éprouvons tous le besoin que nos croyances concordent avec la réalité. Nous avons besoin d’ancrer notre représentation mentale à la réalité ; nous ne pouvons pas délibérément accepter de vivre dans une représentation mentale fictive.

Le fait qu’une théorie soit parfaitement cohérente (c’est-à-dire qu’elle ne se contredise pas elle-même : cohérence interne) n’entraîne pas nécessairement qu’elle soit également concordante, c’est-à-dire qu’elle soit en accord avec les faits. L’astrologie, par exemple, est une théorie cohérente (même s'il arrive que les astrologues se contredisent dans leurs prédictions) mais non concordante. La cohérence interne est un critère de vérité nécessaire mais non suffisant ; pour être jugée vraie, une théorie doit, en plus d’être cohérente, être concordante (voir les deux critères de vérité des sciences). Pour ce qui est de la quête de la vérité sur ce qu’est la réalité et sur comment elle fonctionne, le besoin de concordance est une arme à double tranchant : il peut jouer autant pour nous que contre nous.

Le besoin de concordance peut devenir un véritable obstacle au jugement éclairé si nous nous heurtons, au départ, à un ou plusieurs autre(s) obstacle(s) au jugement éclairé. Par exemple, quelqu’un qui, a priori, désire croire (obstacle 15) que l’astrologie est vraie – plutôt que de désirer SAVOIR si l’astrologie est vraie – risque de retenir sélectivement (obstacle 3) les quelques prédictions qu’on lui a faites qui se sont effectivement réalisées et d’oublier les autres. En outre, cette personne ne cherchera probablement pas à vérifier si ces confirmations de prédictions astrologiques sont effectivement valides (voir les autoverdicts – obstacle 29 – et les verdicts accidentels – obstacle 30), ou encore si elles peuvent être expliquées autrement que par l’astrologie. Le besoin de concordance viendra alors, a posteriori, renforcer la croyance de la personne en l’astrologie puisque les perceptions (biaisées) qui auront été mises en mémoire concorderont effectivement avec les prédictions astrologiques.

Par ailleurs, le besoin de concordance peut devenir le meilleur critère de vérité qu’il soit humainement possible de se donner… à condition d’éviter les obstacles au jugement éclairé ! Le besoin de concordance est d’ailleurs le cœur battant de la démarche scientifique : le critère de vérité ultime d’une idée doit toujours être sa concordance avec les faits. Dans le cas de l’astrologie, si on évite l’obstacle de la sélectivité, on constate que seulement une minorité de prédictions se réalisent effectivement. De plus, ces quelques soi-disant succès sont parfois attribuables à autre chose qu’à l’astrologie (autoverdicts, verdicts accidentels), ou encore sont des succès qui étaient dès le départ inévitables en raison de la nature même des prédictions. Si l’on vous prédit, par exemple, que vous vivrez une épreuve ou encore que vous connaîtrez une grande joie, il y a toujours moyen, après coup, d’associer des événements effectivement vécus à de telles prédictions ! Le besoin de concordance nous pousse ici à conclure que l’astrologie est fausse car elle est non concordante.

Retour au haut de la page

20 : La paresse intellectuelle

Il peut nous arriver de conclure hâtivement qu’une idée est vraie ou fausse seulement parce que celle-ci nous paraît trop compliquée ou encore que sa justification paraît trop élaborée. Cette attitude est un obstacle à éviter à tout prix : elle est le témoin d’une certaine paresse intellectuelle, et non un critère de vérité !

Retour au haut de la page

21 : La malhonnêteté intellectuelle

Nous pouvons être tentés, consciemment ou inconsciemment, de déformer les faits ou les arguments qui contredisent nos croyances afin ou bien de les rendre conformes à nos croyances ou bien de les dépouiller de leur valeur de vérité ou de leur portée. Nous pouvons encore, sans aller jusqu’à déformer les faits ou les arguments qui contredisent nos croyances, diminuer subjectivement leur valeur de vérité ou leur portée. Enfin, nous pouvons carrément mentir, fabuler ou tergiverser, consciemment ou inconsciemment, dans le but de soutenir nos croyances.

On dit d’une personne qui fait montre de malhonnêteté intellectuelle qu’elle « est de mauvaise foi » ; il ne faut pas confondre cette attitude avec celle qui consiste à « être de peu de foi », c’est-à-dire à être sceptique et prudent dans ses jugements !

Retour au haut de la page

CLASSE 3 : LES OBSTACLES RELATIFS AU RAISONNEMENT

Retour au haut de la page

22 : Les hypothèses superflues

Une hypothèse est superflue si elle vise à rendre compte de soi-disant faits qui ne peuvent pas être perçus, directement ou indirectement, par les sens ou par des instruments de mesure. Par exemple, supposer l’existence des anges est non pertinent : cela ne se rapporte à rien de ce que nous connaissons déjà de la réalité. Cette hypothèse est lancée en l’air, gratuitement : elle n’est pas ancrée à la réalité. Elle est entièrement fictive. Si nous construisons des théories sur la base de l'existence des anges, ces théories ne pourront elles-mêmes qu'être de pures fictions lancées en l'air gratuitement.

Une hypothèse est également superflue lorsqu’elle est inutile pour rendre compte de faits déjà connus. Par exemple, en éthologie, supposer que « les animaux ont une âme immortelle » ne nous aide en rien à mieux comprendre leur comportement.

Retour au haut de la page

23 : Les hypothèses non conformes à la logique

Les hypothèses qui ne respectent pas les deux principes de la logique sont à proscrire. Par exemple, en histoire des sciences, supposer que « la mécanique quantique réfute la mécanique classique » entraîne une contradiction : la mécanique classique serait alors simultanément prouvée vraie (par les preuves accumulées depuis sa formulation) ET fausse (par la mécanique quantique) dans son domaine de validité. En réalité, la mécanique quantique généralise la mécanique classique, c’est-à-dire qu’elle englobe et dépasse cette dernière. Le domaine de validité de la mécanique classique n’inclut que les objets macroscopiques, alors que celui de la mécanique quantique inclut à la fois les objets macroscopiques et les particules microscopiques. Ainsi, si l’on applique les équations de la mécanique quantique aux objets macroscopiques, ces équations deviennent absolument identiques à celles de la mécanique classique.

Retour au haut de la page

24 : Les hypothèses non quantifiables

Les mathématiques sont le langage de la réalité. Ainsi, toute hypothèse qui ne peut pas, directement ou indirectement, être reliée à des équations mathématiques doit être rejetée. Cela peut surprendre puisque des théories bien établies en sciences peuvent paraître ne pas être quantifiables, comme par exemple la théorie de l’évolution des espèces. Or, la théorie de l’évolution des espèces est effectivement quantifiable… par les probabilités et les statistiques. Les probabilités et les statistiques sont également abondamment utilisées en sciences humaines.

Retour au haut de la page

25 : Les hypothèses infalsifiables

Les hypothèses qui ne permettent pas de prédire, par la logique, l’existence et le fonctionnement de faits nouveaux qui soient vérifiables, directement ou indirectement, par les sens ou par des instruments de mesure, sont dites « infalsifiables » ou « irréfutables ». Ces hypothèses sont à rejeter car il est impossible de juger de leur valeur de vérité. En effet, le jugement de la valeur de vérité d’une hypothèse doit toujours se faire par la confirmation ou la réfutation des prédictions tirées de cette hypothèse (voir le critère de vérité principal des sciences). Par exemple, en astronomie, se contenter de supposer que « Dieu a créé l’univers » mettrait un terme à la recherche. Cette hypothèse n’entraîne ni logiquement ni nécessairement aucune prédiction qui puisse être vérifiée. Par exemple, Dieu pourrait très bien ne pas être intervenu dans l’univers depuis la création, de sorte que rien qui soit perceptible par les sens ou par un instrument de mesure, directement ou indirectement, ne pourrait témoigner de son existence ou de sa non existence. Il est donc impossible de juger de la valeur de vérité de cette hypothèse. Si elle est la bonne, on ne le saura jamais. Si elle est fausse, on ne découvrira jamais la bonne hypothèse puisqu’on ne fera plus de recherche.

Les idées infalsifiables peuvent devenir un obstacle majeur au jugement éclairé lorsque l’on désire y croire (obstacle 15). En effet, il devient alors absolument impossible de nous convaincre que nous pourrions avoir tort par quelque argument que ce soit... puisque justement, il est impossible de démontrer la véracité ou la fausseté des idées infalsifiables ! Une idée infalsifiable à laquelle nous désirons croire risque de s’enraciner pour toujours dans notre représentation mentale de la réalité, ce qui nous rend alors sujets à nous heurter à tous les obstacles au jugement éclairé qui sont causés par la présence d’idées erronées (voir en particulier les obstacles 3 : sélectivité, 14 : croyances implicites, 17 : identification à ses croyances, 18 : cohérence, 19 : concordance, 21 : malhonnêteté et 29 : autoverdicts).

LA CAPACITÉ DES SCIENCES À SE SABORDER

Puisque, par principe, les sciences rejettent automatiquement toute hypothèse infalsifiable, les sciences ont toujours la capacité de démontrer par elles-mêmes qu’elles ont tort lorsque c’est le cas. La grande crédibilité des sciences repose, en bonne partie, justement sur le fait qu’elles sont ainsi capables de se saborder.

Lorsqu’une nouvelle hypothèse est formulée, il se trouve toujours des scientifiques sceptiques qui tentent par tous les moyens possibles d’en démontrer la fausseté. Cela n’est pas en soi de la malveillance : le scepticisme est au cœur même de la démarche scientifique ! Les sceptiques ne sont pas de mauvaise foi : ils sont de peu de foi. Beaucoup d’hypothèses sont d’ailleurs éliminées de la sorte en recherche. Mais lorsqu’une hypothèse résiste et survit à toutes ces tentatives de sabordage, il devient évident que sa crédibilité est très grande : cette hypothèse est « très probablement vraie », voire même « vraie avec certitude ». La crédibilité des théories scientifiques serait beaucoup plus faible si les scientifiques se contentaient de seulement les formuler en tant qu’explications possibles de faits déjà connus… ou pire encore : si ces théories étaient infalsifiables !

26 : Enfreindre un des 2 principes de la logique en raisonnant

Voir « partie 3 : la logique ».

Retour au haut de la page

27 : Enfreindre un des 2 critères du raisonnement en raisonnant

Voir « les 2 critères du raisonnement ».

Retour au haut de la page

28 : Effectuer un appel à l’autorité non valide

Voir « les 4 règles de validité de l’appel à l’autorité ».

Retour au haut de la page

CLASSE 4 : LES ERREURS DE VERDICT

Dans notre vie quotidienne, nos croyances engendrent des attentes : nous nous attendons à percevoir tel phénomène dans tel contexte. Par exemple, je crois que mon chat ne contrôle pas sa gourmandise. Ainsi, si j’échappe un morceau de fromage par terre, je m’attends à ce que mon chat se précipite sur lui. Cette réflexion se transpose telle quelle aux sciences. En sciences, les hypothèses engendrent des prédictions : nous nous attendons à percevoir tel objet ou tel processus lors de telle observation ou de telle expérience. Par exemple, je crois que les espèces vivantes ont toutes évolué à partir d’un ancêtre commun. Cette hypothèse (croyance) engendre une série de prédictions (attentes), dont celle-ci : la chimie des êtres vivants devrait être semblable, sinon la même, chez toutes les espèces. De fait, le code génétique et les réactions chimiques du métabolisme sont les mêmes chez toutes les espèces : moustiques, anémones de mer, pommes de terre, requins, araignées, humains, érables, bactéries, champignons, pieuvres, canards, plancton, céréales, lézards, moisissures, algues, grenouilles, etc.

La confirmation d’une attente qui découle d’une croyance (dans notre vie quotidienne) ou d’une prédiction qui découle d’une hypothèse (en sciences) renforce notre confiance en cette croyance ou en cette hypothèse. La réfutation d’une attente ou d’une prédiction affaiblit notre confiance en la croyance ou en l’hypothèse concernée. Dans notre vie quotidienne, cela constitue – ou devrait constituer – le critère de vérité principal de nos croyances. En sciences, cela constitue toujours le critère de vérité principal des hypothèses.

Mais pour que la confirmation ou la réfutation d’une attente ou d’une prédiction soit valable, il faut s’assurer qu’il ne s’agisse pas d’un autoverdict ni d’un verdict accidentel.

Retour au haut de la page

29 : Les autoverdicts

Il existe une dialectique nécessaire entre, d’une part, la perception des faits, et d’autre part, notre représentation mentale de la réalité. Voir à ce sujet la partie 4. Les faits que nous percevons effectivement et la manière dont nous les interprétons déterminent quelles sont les croyances qui sont intégrées à notre représentation mentale de la réalité ainsi que notre degré d’adhésion à ces croyances. En retour, les croyances déjà présentes dans notre représentation mentale de la réalité ainsi que notre degré d’adhésion à ces croyances conditionnent la manière dont notre cerveau sélectionne, organise et interprète les sensations. C’est en fonction de ce que nous avons déjà appris que notre cerveau sélectionne les sensations qu’il juge pertinentes, qu’il peut les organiser et leur donner une signification. Si nous avons appris des choses erronées, ces erreurs déformeront nécessairement notre perception des faits. Nous avons tendance à percevoir ce que nous nous attendons effectivement à percevoir. Il ne faut pas prendre pour acquis que l’interprétation spontanée d’un fait est nécessairement la bonne, même s’il nous semble qu’elle ne peut qu’être la bonne.

LES AUTOVERDICTS PERCEPTIFS

Un autoverdict perceptif consiste à percevoir – parfois à raison, parfois à tort - ce que nous nous attendions effectivement à percevoir. Par exemple, si je crois avoir offusqué un ou une collègue de travail la veille, il se peut que le lendemain matin j’interprète comme étant un air hostile ce qui, en fait, n’est que l’air de quelqu’un qui n’est pas encore complètement réveillé…

LES AUTOVERDICTS PROVOQUÉS

Un autoverdict provoqué se produit lorsque le fait que nous nous attendons, au départ, à ce que certains événements surviennent nous amène, consciemment ou inconsciemment, à adopter des comportements qui s’avèrent, finalement, être eux-mêmes la cause de ces événements qui surviennent effectivement. Si nous n’avions pas eu cette attente initiale, nous n’aurions pas adopté ces comportements et les événements en question ne seraient pas survenus. Par exemple, si je commet l’erreur d’interpréter l’air d’un ou d'une collègue de travail qui n’est pas encore complètement réveillé(e) comme étant un air hostile dirigé contre moi, je risque d’adopter durant la journée, à l’égard de ce ou de cette collègue, des comportements qu’il ou elle trouvera étranges et qui l’irriteront. À la fin de la journée, ce ou cette collègue risque d’être réellement en colère contre moi. Mon cerveau se dira alors « je le savais bien ! »

CROIRE POUR COMPRENDRE OU COMPRENDRE POUR CROIRE ?

L’autoverdict consiste en quelque sorte à croire d’abord pour comprendre ensuite. Alors que pour chercher la vérité sur ce qu’est la réalité et sur comment elle fonctionne, il faut comprendre d’abord pour croire ensuite... bien que toute compréhension ne puisse se faire qu’à la lumière de croyances déjà existantes ! Il faut donc, autant dans la vie quotidienne qu’en sciences, demeurer sceptiques et prudents à l’égard, d’une part, de nos croyances déjà établies et, d’autre part, de nos perceptions. La quête de la vérité n’est pas une démarche simple ni évidente !

N’importe lequel des obstacles au jugement éclairé peut être la cause d’un autoverdict, que celui-ci soit perceptif ou provoqué. Les idées infalsifiables (obstacle 25) sont probablement la pire cause d’autoverdict, puisqu’il est toujours possible de les rendre compatibles aux faits. Quelqu’un qui croit déjà, au départ, à l’astrologie trouvera toujours des faits qui confirment au moins une partie des prédictions astrologiques… et trouvera toujours « d’excellentes » raisons (qui sont en général elles-mêmes des idées infalsifiables) de justifier les échecs de l’astrologie sans la réfuter ! Le désir de croire (obstacle 15) et le besoin de concordance mal utilisé (obstacle 19) sont également des causes importantes d’autoverdicts.

30 : Les verdicts accidentels

Lorsqu’une attente ou une prédiction, tirée d’une croyance ou d’une hypothèse, est confirmée ou réfutée par la perception d’un fait, il ne faut pas pour autant sauter aux conclusions. Il faut rester sceptique et prudent : il se peut que la confirmation ou la réfutation soit accidentelle…

Il faut donc toujours s’assurer, avant toute chose, de la crédibilité de la perception du fait. Il se peut en effet que le hasard, un obstacle au jugement éclairé (en particulier un autoverdict perceptif ou provoqué – obstacle 29), une erreur dans la conception des observations ou des expériences, une erreur de manipulation, une défectuosité du matériel employé pour l’observation ou l’expérimentation, une mauvaise estimation de la marge d’incertitude des mesures ou encore des marges d’incertitude trop grandes, une omission, etc. soient les véritables responsables de la confirmation ou de la réfutation d’une attente ou d’une prédiction. Si tel s’avère être le cas, il faut recommencer l’observation ou l’expérience en question, quitte à en modifier le protocole. Ce n’est qu’une fois que la crédibilité de la perception de faits objectifs et reproductibles est établie que l’on conclura qu’une attente ou une prédiction est effectivement confirmée ou réfutée.

Retour au haut de la page

LES FAITS DOIVENT ÊTRE REPRODUCTIBLES

Pour qu’un fait soit réel, il doit être reproductible, c’est-à-dire que n’importe qui, n’importe quand et n’importe où doit pouvoir obtenir exactement les mêmes résultats d’observations ou d’expériences dans un même contexte précis et autant de fois que désiré, à l’intérieur d’une certaine marge d’incertitude. Un fait non reproductible est probablement un verdict accidentel.

Partie 7

Copyright Daniel Fortier 2002. Tous droits réservés.