Dossier « Les télescopes » (écrit lorsque je travaillais au Planétarium de Montréal)

 

 

 

 

Le télescope : 4 siècles d'Histoire

Par Daniel Fortier, astronome et animateur au Planétarium de Montréal

 

Un jour, vers la fin du XVIe siècle, un fabriquant de lunettes hollandais (ou était-ce l’un de ses assistants?) jouait avec des lentilles pour passer le temps. Il plaça, par hasard, deux lentilles l’une derrière l’autre, et constata, stupéfait, que ce montage grossissait et rapprochait les objets éloignés. Il inséra ces deux lentilles dans un tube rigide pour maintenir leurs positions relatives: le télescope était né. Le premier télescope était un réfracteur (ou lunette); il fonctionnait à partir de la réfraction de la lumière.

Lorsque la lumière passe d’un milieu à un autre (par exemple, de l’air au verre d’une lentille), elle est déviée de sa trajectoire d’origine. Ainsi, la lentille, dite convergente, que l’on place à “l’entrée” d’un télescope collecte les rayons lumineux parallèles qui proviennent d’un objet lointain et les fait converger vers un même point appelé le foyer.

Table des matières

 

1ère partie — Les balbutiements de l’optique

¨    Les premiers télescopes

¨    Les longs télescopes

2ème partie — Lentilles contre miroirs

¨    Un nouveau type de télescope: le réflecteur

¨    Les réfracteurs achromatiques

¨    La guerre froide des télescopes

¨    Les lentilles Clark

3ème partie — La suprématie des réflecteurs

4ème partie — La technologie moderne

¨    Une nouvelle technologie : le télescope informatisé à miroir multiple

¨    “The sky is the limit!” (Le ciel est la limite!)

¨    L’optique active et l’optique adaptative

Conclusion — En attendant l’avenir...

Épilogue — L’avenir proche du télescope

¨    Nouveau type de réflecteur

¨    Autres projets en cours

Références

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1ère partie

Les balbutiements de l’optique

 

Les premiers télescopes

Hans Lippershey (1570-1619), qui dit être l’inventeur du télescope, a le premier fait connaître cet instrument au grand public lorsqu’il en offrit un à son gouvernement pour en équiper les navires de guerre. Le télescope a d’abord été utilisé pour espionner les vaisseaux ennemis avant la bataille! La paternité du télescope est toutefois contestée: d’autres opticiens hollandais de l’époque la revendiquent.

En 1609, Galileo Galilei (dit Galilée), astronome et physicien italien (1564-1642), entendit parler de cette invention. Il entreprit alors de fabriquer lui-même, par essais et erreurs, son propre télescope. Il employa une lentille convexe (c’est-à-dire bombée vers l’extérieur) de 4,2 cm (1,6”) de diamètre comme objectif (c’est la lentille que l’on place à “l’entrée” du télescope pour collecter la lumière). Il se servit d’une lentille concave (bombée vers l’intérieur) comme oculaire (c’est la lentille que l’on place à la “sortie” du télescope pour regarder). L’oculaire était placé entre l’objectif et le foyer de ce dernier; ainsi, l’image n’était pas inversée. Ce télescope grossissait les objets 3 fois. Galilée songea, comme Lippershey, à utiliser son télescope comme arme militaire pour les navires.

Après avoir été récompensé pour son télescope, Galilée se mit à en construire des plus gros, et de meilleure qualité. Un objectif plus gros capte davantage de lumière, et permet donc de voir des objets moins brillants. Il construisit une lunette de 1,2 m de long, doté d’un objectif de 4,4 cm (1,75”), qui grossissait 33 fois.

Mais la contribution la plus remarquable de Galilée est qu’il eut, le premier, l’idée de pointer un télescope... vers le ciel. Notre compagne la Lune détient l’honneur d’être le premier objet céleste à avoir été regardé au télescope.

* * *

Les premières observations astronomiques systématiques connues remontent aux Sumériens, il y a 6000 ans. Jusqu’en 1609, toutes les observations astronomiques se sont faites à l’oeil nu.  En trois ans seulement, de 1609 à 1612, Galilée révolutionna avec ses télescopes toute la compréhension de l’Univers d’alors, développée dans l’Antiquité et acceptée depuis près de 2000 ans!

Galilée démontra que les planètes étaient des mondes comme la Terre, plus rapprochés de nous que les étoiles; il signala un nombre incroyable d’étoiles invisibles à l’oeil nu: l’Univers était beaucoup plus vaste et complexe qu’on ne l’avait imaginé! Galilée découvrit de nouveaux objets dans le système solaire, des objets qui... ne tournaient pas autour de la Terre! (ce sont les 4 satellites géants de Jupiter) Il constata que Vénus avait des phases comme la Lune; il observa que Saturne avait des... oreilles! Mais surtout, les observations de Galilée confirmèrent la théorie héliocentrique de l’astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543), qui affirme que les planètes tournent autour du Soleil, et non de la Terre...

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En ce temps des premiers télescopes, le mot même “télescope” n’existait pas. Cet instrument était nommé “tube optique”, “verre optique”, ou encore “verre de perspective”. Le mot “télescope” fut proposé par le mathématicien grec Ioannes Dimisiani en 1612, et adopté définitivement à partir de 1650. De plus, à cette époque, l’on ne connaissait pas les principes optiques du fonctionnement du télescope. Le premier à les expliquer fut Johannes Kepler (1571-1630), un astronome allemand qui - ironiquement - n'a jamais lui-même utilisé un télescope.

Kepler remarqua également que les télescopes d’alors souffraient de deux problèmes affectant la qualité des images: l’aberration sphérique et l’aberration chromatique. Le premier phénomène, causé par la courbure sphérique des lentilles - cette forme est la plus facile à produire, mais elle ne permet pas à la lumière de se focaliser en (c’est-à-dire de converger vers) un point unique - rend les objets observés flous. Le second, résultant du fait que chaque couleur possède son propre point focal (ou foyer), produit un anneau de couleurs autour des objets observés.

Kepler eut aussi l’idée de modifier l’oculaire: il proposa de remplacer la lentille concave par une lentille convexe placée derrière le foyer de l’objectif. Le télescope se trouverait ainsi allongé et l’image inversée; en revanche, le champ de vision s’agrandirait, et l’on pourrait munir le télescope d’un réticule - dispositif permettant de mesurer la position des étoiles. Le premier à se servir du “télescope de Kepler” fut l'astronome italien Franciscus Fontana (1600-?), après 1640. Fontana observa les planètes; il découvrit des bandes sur Jupiter et des traces diffuses sur Mars. L’on n'utilisa plus la lunette de Galilée après 1650.

Les longs télescopes

La loi de la réfraction de la lumière fut découverte en 1621 par le mathématicien hollandais Willebrord Snellius (1591-1626). Celui-ci put alors expliquer l'aberration sphérique; il constata qu’elle est réduite au minimum pour la lumière qui passe près du centre de la lentille et qui est la moins déviée par cette dernière. Débuta alors la fabrication de lentilles à très petite courbure; des lentilles qui dévient peu la lumière. L’effet pervers de cette solution fut l’allongement considérable de la longueur focale (c’est-à-dire de la distance entre une lentille et son foyer) des objectifs: l’âge des télescopes longs, minces et difficiles à manoeuvrer, qui dura plus d’un siècle, venait de commencer! Ce fut également le début de la course à la construction de télescopes toujours plus gros et de meilleure qualité, course qui se poursuit toujours au moment même où vous lisez ces lignes.

Avec la venue des longs télescopes, la pratique de décorer les instruments scientifiques, afin d’en faire autant des objets d’art que de science, cessa. La construction et l’utilisation des télescopes étaient devenues suffisamment laborieuses pour pouvoir se permettre ce genre de raffinement!

L’ère des longs télescopes fut inaugurée par l'astronome et mathématicien hollandais Christiaan Huygens (1629-1695), qui construisit en 1655 une lunette dotée d'une lentille (dorénavant, le mot lentille ne désignera plus que la lentille objectif) de 5 cm (2") de diamètre possédant une longueur focale de 3,6 m. Sa lunette grossissait 50 fois. Il découvrit Titan, le satellite géant de Saturne, ainsi que des étoiles dans la nébuleuse d'Orion (M42).

Par la suite, Huygens fabriqua des télescopes dotés de lentilles de plus en plus grosses, et devenant de plus en plus longs... L’une de ses lunettes atteignit une longueur de... 37,5 m! Huygens annonça en 1659 qu'il avait résolu le mystère des "oreilles" de Saturne, observées pour la première fois par Galilée: il s'agissait en fait d'anneaux.

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L’Histoire des télescopes n’est pas qu’une suite ininterrompue de succès... En 1673, le prolifique astronome polonais Johannes Havelke (ou Hewel), dit Hevelius (1611-1687), entreprit de construire un télescope long de 46 m. Très lourd, ce télescope fut suspendu à un mat de 27 m de haut; il exigeait la présence de plusieurs assistants pour être manoeuvré. La moindre petite variation météorologique l'affectait. Il s'avéra être complètement inutilisable...

Pour réduire le poids de ces mastodontes, Huygens eut l’idée de remplacer le tube géant par deux petits tubes - un pour l’objectif et un pour l’oculaire - reliés par une corde et possédant chacun son propre support.

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L'astronome le plus habile de l'ère des longs télescopes fut sans aucun doute le Français Jean Dominique Cassini (1625-1712), dit Cassini premier. Il observa une grande tache rouge sur Jupiter en 1664; il découvrit quatre nouveaux satellites à Saturne, ainsi qu'une division (en 1675) dans les anneaux de celle-ci: la division... de Cassini. Il fut l'un des premiers astronomes à utiliser une horloge. Ses calculs démontrèrent la distance et la taille réelles des objets du système solaire, confirmant ainsi que la Terre n'est qu'une planète bien ordinaire - et non pas le centre de l'Univers! Ses calculs permirent également de déterminer la vitesse de la lumière.

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Le record de cette période appartient à l'astronome anglais James Bradley (1693-1762) qui, en 1722, utilisa un télescope long de 65 m...

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2ème partie

Lentilles contre miroirs

 

Un nouveau type de télescope: le réflecteur

Suite à sa célèbre expérience où il fit passer un rayon de lumière blanche au travers d’un prisme (ce qui eut pour effet de séparer les couleurs), le physicien, mathématicien et astronome anglais sir Isaac Newton (1642-1727) put expliquer l’aberration chromatique: chaque couleur est réfractée selon un angle différent.

D’autre part, il était connu que l’angle de réflexion de la lumière est indépendant de la couleur. Newton eut l’idée, afin d’éliminer l’aberration chromatique, de remplacer la lentille objectif d’un télescope par un miroir concave, pour faire converger la lumière des astres vers un point focal. Cela, bien entendu, allait changer la configuration du télescope. Newton fabriqua ses miroirs en bronze, un métal réfléchissant (le verre est une substance transparente - donc inutilisable comme telle pour fabriquer un miroir!).

Les premiers miroirs de télescope souffrirent cependant de l’aberration sphérique...

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En fait, le premier modèle de réflecteur fut imaginé par l’astronome et mathématicien écossais James Gregory (1638-1675) en 1663. Un miroir primaire concave, placé au fond du tube du télescope, collecte la lumière pour la diriger vers un miroir secondaire; ce dernier retourne la lumière en direction d’un trou percé au centre du miroir primaire pour que la reçoive un observateur placé derrière le télescope. Gregory avait de l’ambition: il voulait résoudre, en même temps que le problème de l’aberration chromatique, le problème de l’aberration sphérique. Il découvrit que pour ce faire, il fallait fabriquer un miroir de forme parabolique... Ce qui était hors de portée des moyens techniques de l’époque: l’on ne pouvait alors produire avec précision que des surfaces sphériques. Gregory ne construisit jamais son télescope, mais il allait inspirer de futurs astronomes...

Newton fut donc le premier à fabriquer un réflecteur, en 1668. Il a lui-même poli le miroir de 2,5 cm (1”) de diamètre, inséré dans un tube long de 15 cm. Ce télescope grossissait 40 fois.

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Dans un télescope de type Newton - comme dans tout réflecteur - le miroir primaire se situe au fond du tube. Mais dans un télescope de type Newton, l’on place à l’autre extrémité un miroir secondaire plat incliné à 45 degrés par rapport au miroir primaire. Le miroir secondaire retourne la lumière vers le côté du télescope, là où se place l’observateur.

En 1672, Newton présenta à la Royal Society un second télescope, disposant d’un miroir primaire de 5 cm (2”). La même année, un physicien français nommé N. Cassegrain proposa un troisième type de réflecteur, identique pour l’essentiel au modèle grégorien. Le miroir secondaire sur le télescope de Cassegrain est convexe. La plupart des grands observatoires modernes possèdent un télescope de ce type.

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Les réflecteurs sont vite devenus populaires auprès des amateurs, et le sont demeurés jusqu’à ce jour. Les premiers réflecteurs ne convenaient toutefois pas aux professionnels: leur miroir de bronze était peu réfléchissant et  se ternissait rapidement - on devait fréquemment en refaire le polissage.

Il fallut attendre 1721 pour qu’un réflecteur puisse enfin être utile aux professionnels et rivaliser avec les lunettes astronomiques. Ce télescope fut fabriqué par John Hadley (1682-1744); il était de type grégorien et était pourvu d’un miroir de 15 cm (6”). Hadley réussit à produire, par essais et erreurs, un miroir de forme parabolique. Par la suite, un opticien écossais, James Short (1710-1768), développa une technique pour polir avec précision des surfaces paraboliques.

Les 176 années qui suivirent (jusqu’en 1897) virent les réfracteurs et les réflecteurs se livrer une concurrence féroce pour la suprématie.

Les réfracteurs achromatiques

Les nouvelles techniques de polissage furent également mises à profit pour produire des lentilles paraboliques pour les lunettes. Cela permit de réduire considérablement la longueur focale! Puis, on constata que le taux de dispersion des couleurs, par réfraction, varie d’un type de verre à un autre. En combinant une lentille convexe et une lentille concave, faites de types de verre différents, on réussit à éliminer l’aberration chromatique chez les réfracteurs: on venait d’inventer la lentille achromatique. Sa venue marqua la fin de l’âge des longs télescopes, qui ne furent plus utilisés après 1757.

Chester Moor Hall (1703-1771), mathématicien et avocat anglais, fabriqua le premier une lentille achromatique en 1733. Elle avait un diamètre de 6,5 cm (2,5”), et faisait partie d'un télescope long de 50 cm. L’opticien anglais John Dollond (1706-1761) expliqua théoriquement le fonctionnement de cette nouvelle lentille.

La guerre froide des télescopes

L’astronome amateur allemand sir William Herschel (1738-1822), avec ses gros réflecteurs, domina le monde de l’astronomie durant une génération. Herschel a découvert Uranus en 1781 avec un télescope de 15 cm (6”) de diamètre. En 1789, Herschel mit au monde son plus gros télescope: il avait un miroir de 122 cm (48”) et était long de 12,2 m. Il ne comportait pas de miroir secondaire: l’astronome se plaçait au foyer du miroir primaire pour faire ses observations. Ce télescope était difficile à manoeuvrer: on le positionnait à l’aide de poulies par la force musculaire. Devenu vieux et dangereux, il fut démonté en 1839.

Avec ses télescopes, Herschel a montré que le Soleil n’était qu’une étoile parmi d’autres, et fut le premier à étudier la forme et la taille de notre galaxie la Voie Lactée.

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Les lunettes reprirent par la suite le dessus grâce au Suisse Pierre Louis Guinand (1748-1824) et à l’opticien et physicien allemand Joseph von Fraunhofer (1787-1826), qui ont créé une technique pour fabriquer du verre homogène et sans bulles d’air. La qualité des lentilles s’en trouva ainsi accrue.

Fraunhofer a de plus doté le plus gros et le meilleur réfracteur de l’époque - qu’il a lui-même construit - du nouveau type de monture qu’il venait d’inventer: la monture équatoriale. Celle-ci permet au télescope d’être déplacé de façon naturelle par rapport au mouvement apparent des astres. Elle était si bien équilibrée que ce télescope se manoeuvrait très aisément. La lunette de Fraunhofer, qui vit le jour en 1826,  possédait une lentille de 24 cm (9,5”) et était longue de 4,3 m. Elle fut d’abord installée à l’observatoire de Dorpat, en Estonie, puis transférée à celui de Poulkovo, en Russie.

Avec ces nouveaux réfracteurs, l’astronome allemand Friedrich Wilhelm Bessel (1784-1846) découvrit, de par leur mouvement anormal, que les étoiles Sirius et Procyon possèdent des compagnons invisibles...

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Mais les réflecteurs n’avaient pas dit leur dernier mot! Un mastodonte, installé au château Birr en Irlande centrale, et surnommé Léviathan en l’honneur d’un monstre marin de la mythologie phénicienne, entra en opération en 1845. Construit par l’astronome et fabriquant de réflecteurs irlandais William Parsons (1800-1867), troisième comte de Rosse, il était doté d’un miroir de 184 cm (72”) pesant 3600 kg, et était long de 17 m. On ne construira pas de plus gros télescope avant 1918! Il était installé entre deux murs de 22 m de long par 17 m de haut le protégeant du vent. Il ne pouvait regarder que le long du méridien (c’est-à-dire le long de l’axe nord-sud), et était très difficile à manoeuvrer. Il fut bâti en un endroit où la météo était bien mauvaise, ce qui limitait son utilisation. Les astronomes réalisèrent alors l’importance du choix du site pour la construction d’un télescope.

Léviathan permit la découverte de bras spiraux dans certaines nébuleuses. On cessa de l’utiliser en 1878, et on le démantela en 1908, alors qu’il était devenu délabré et dangereux. Il est à noter que ce télescope a été restauré; les travaux ont été complété en 1997.

En 1861, les réflecteurs purent enfin profiter de la monture équatoriale grâce à William Lassell (1799-1880), brasseur et astronome amateur anglais. Le premier élu avait un miroir de 122 cm (48”). Lassell fut également le premier à tenir compte du climat dans le choix d’un site pour l’édification d’un observatoire. Avant lui, on installait son télescope près de chez soi ou de chez son mécène.

A partir de 1849, le télescope fut utilisé pour photographier les corps célestes. La Lune fut le premier astre à détenir cet honneur, alors que l’astronome américain William Cranch Bond (1789-1859), premier directeur de l'observatoire du collège Harvard, la prit en photo avec un réfracteur de 38 cm (15”).

Les lentilles Clark

Après l’Italie avec Galilée, la France avec Cassini et ses descendants, la Grande Bretagne avec Herschel et l’Allemagne avec Bessel, les États-Unis prirent le leadership mondial des télescopes avec la famille Clark. Après plus de 250 ans d’existence, le télescope n’était plus un instrument exclusivement européen...

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Alvan Graham Clark (1804-1887), peintre de portraits, opticien et astronome américain, et ses deux fils prirent la relève des réfracteurs et devinrent les meilleurs fabriquants de lentilles au monde.

Les deux satellites de Mars furent découverts en 1877 grâce à une lentille Clark de 66 cm (26”), produite en 1870. L'observatoire Lick, sur le mont Hamilton en Californie, possède une lunette dotée d’une lentille Clark d'un diamètre de 91 cm (36”) et d'une longueur focale de 17,6 m. Cette lunette entra en opération en 1888.

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Les Européens voulurent alors rivaliser avec les réfracteurs américains. En 1893, l’Irlandais Howard Grubb (1844-1931)  fabriqua une lentille de 71 cm (28”) pour le télescope du vieil observatoire royal de Greenwich.

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C’est à ce moment qu’entra en scène le plus grand bâtisseur de télescopes de l’Histoire: l’astronome américain George Ellery Hale (1868-1938). Il fit construire ce qui allait demeurer pour toujours le plus grand réfracteur au monde: la lunette de l’observatoire Yerkes, au lac Geneva, Wisconsin (États-Unis). Cette lunette, qui entra en opération en 1897, possède une lentille Clark d'un diamètre de 101 cm (40”), d'une longueur focale de 19 m, et d'un poids de 230 kg. La lunette pèse 18 tonnes; elle est parfaitement balancée et peut être aisément dirigée vers n’importe quelle région du ciel.

Ainsi s’acheva l’Histoire des réfracteurs, qui venaient d’atteindre leur limite... En effet, au-delà d’un diamètre de 1 m, une lentille se déforme sous son propre poids au point d’affecter de façon importante la qualité de l’image.

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3ème partie

La suprématie des réflecteurs

 

Le matériau constituant les miroirs des réflecteurs - le bronze - était l’inconvénient majeur dont ceux-ci souffraient. D’autres métaux se ternissent moins rapidement que le bronze, mais sont beaucoup plus dispendieux. Le verre, quant à lui, est plus léger que les métaux et ne coûte pas cher... mais il est transparent! La solution vint du chimiste allemand Justus Liebig (1803-1873): il inventa une technique pour appliquer une fine couche d’argent - métal qui se corrode moins facilement que le bronze - sur du verre. L’astronome allemand Carl August von Steinheil (1801-1870), en 1856, et le physicien français Jean B. Léon Foucault (1819-1868), en 1857, furent les premiers à appliquer cette méthode.

Le dernier télescope avec un miroir en métal fut construit en 1862 à Melbourne, Australie, par Grubb. Le miroir avait un diamètre de 122 cm (48”)... et s’est terni rapidement.

L’un des pionniers des miroirs verre-argent fut l’astronome américain Henry Draper (1837-1882): il termina, en 1872, la fabrication d’un miroir de 71 cm (28”) de diamètre. G. E. Hale, quant à lui, était ambitieux: il ne voulait pas se contenter de son exploit de 1897. Il fit construire un réflecteur doté d’un miroir de 153 cm (60”) sur le mont Wilson, en Californie. Celui-ci entra en fonction en 1908, et permit l’observation d’un tout nouveau type d’étoiles: les naines blanches. Sirius B, le "compagnon invisible" de Sirius découvert par Bessel, fut la première étoile à être identifiée comme naine blanche.

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1918 vit la venue au monde d’un nouveau type de miroir: le miroir de verre recouvert d’une fine pellicule... d’aluminium. L’aluminium réfléchit 82 % de la lumière incidente, comparativement à l’argent qui n’en réfléchit que 65 %. Le premier réflecteur à avoir bénéficié d’un tel miroir fut bâti par l’astronome et fabriquant de télescopes américain John Alfred Brashear (1840-1920), pour l'observatoire astrophysique du dominion, en Colombie Britannique. Il fut mis en service en 1918. Le miroir avait un diamètre de 183 cm (72”)... Léviathan venait d’être rattrapé!

Mais la suprématie du télescope de Brashear fut bien éphémère... Toujours en 1918, Hale mit au monde le télescope Hooker, au mont Wilson (Californie), qui possède un miroir de... 254 cm (100”)! Grâce à ce télescope, l’astrophysicien américain Edwin Powell Hubble (1889-1953) a montré que les nébuleuses spirales, découvertes grâce à Léviathan, sont en fait des galaxies, comme la Voie Lactée, composées de myriades d’étoiles. Le réflecteur de Hooker a aussi fourni à Hubble certaines des données qui allaient le mener, en 1929, à faire l’une des plus spectaculaires découvertes de l’Histoire: l’Univers est en expansion... On n’avait pas fait de découverte plus surprenante depuis Galilée!

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En 1930, l’opticien russe-allemand Bernhard Voldomar Schmidt (1879-1935) conçut un nouveau type de télescope, à mi-chemin entre les réflecteurs et les réfracteurs. La lumière, avant d’atteindre un miroir sphérique, traverse une lame correctrice transparente qui permet d’éliminer l’aberration sphérique. Le télescope de Schmidt est aussi appelé caméra de Schmidt: on l’utilise exclusivement pour l’astrophotographie. Le plus gros représentant de cette famille, qui entra en opération en 1960, possède un miroir de 200 cm (79”), une lame correctrice de 134 cm (53”), et se situe à l’observatoire Karl Schwarzschild en Allemagne. Aujourd’hui, un type hybride de télescope est très populaire auprès des amateurs: le Schmidt-Cassegrain.

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Hale, de son côté, n ‘était pas encore satisfait... Il entreprit la construction d’un réflecteur de... 508 cm (200”) de diamètre. Avec l’expansion de la ville de Los Angeles, le mont Wilson n’était plus un bon site pour établir un observatoire: Hale choisit, en 1934, le mont Palomar, toujours en Californie. Plus un miroir est gros, plus il doit être épais et lourd, et plus il est affecté par les changements de température. Pour construire ce miroir de 508 cm, il fallut développer une nouvelle technologie. Le miroir fut fait en Pyrex. Pour l’alléger, on devait l’amincir: un réseau de nervures, en forme de ruche d’abeilles, intégré à l’endos du miroir, allait lui servir de soutien. L’épaisseur totale du miroir et des nervures est de 60 cm. Le miroir pèse 15 tonnes; son ouverture centrale a un diamètre de 101 cm (soit le diamètre du réfracteur de Yerkes!). Il fallut en tout 11 ans pour produire ce miroir! Le poids de la monture est de 100 tonnes. Le télescope du mont Palomar entra en opération en 1948, et fut nommé le télescope Hale en l’honneur de son bâtisseur, décédé en 1938...

Enfin, en 1975, le télescope Bol'shoï, au mont Pastoukhov en Tcherkessie (Russie), vit le jour. Il s’inspire fortement du télescope Hale. Son miroir, de même conception que celui du télescope Hale, a un diamètre de 600 cm (236”) et pèse 42 tonnes. La distance qui sépare les miroirs primaire et secondaire est de 25 m. Le télescope pèse 77 tonnes et  possède une monture azimutale (c'est-à-dire qui se déplace parallèlement au sol, et non parallèlement au mouvement apparent des astres dû à la rotation de la Terre). Toutefois, ce télescope fut une déception: son optique est de piètre qualité, et les conditions d’observation au mont Pastoukhov sont souvent mauvaises. Son miroir primaire a été remplacé en 1984.

Ainsi s’acheva un second chapitre de l’Histoire des télescopes. Les grands miroirs rigides ont atteint leur limite avec le miroir du télescope Bol’schoï: au-delà de la taille de celui-ci, un miroir se déformerait sous son propre poids...

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4ème partie

La technologie moderne

 

Une nouvelle technologie: le télescope informatisé à miroir multiple

L'observatoire astrophysique Smithsonian et l’Université d’Arizona présentèrent, en 1979, un tout nouveau type de télescope: le MMT (“Multiple-Mirror Telescope”, ou télescope à miroir multiple). Installé sur le mont Hopkins en Arizona, le MMT se compose de 6 miroirs de 183 cm (72”), disposés en hexagone et alignés par ordinateur. Ce télescope fournit des résultats moins bons qu’anticipés...

Toutefois, cette technologie permit la naissance des super télescopes jumeaux Keck I (1993) et Keck II (1996) sur le mont Mauna Kea, à Hawaii. Chacun de ces géants possède un énorme miroir, constitué de 36 petits miroirs hexagonaux de 90 cm de côté et de 180 cm de largeur. Ces petits miroirs sont contrôlés par ordinateur, et totalisent un diamètre de 9,8 m (400”). Les Keck reposent sur une monture azimutale.

“The sky is the limit!” (Le ciel est la limite!)

Voyant toujours plus loin, les astronomes voulurent s’affranchir des contraintes imposées par l’atmosphère terrestre, qui bloque certains types de lumière invisible et rend les images astronomiques plus ou moins floues. Ainsi, on mit en orbite en 1990, à l’aide de la navette spatiale Discovery, le plus que célèbre télescope spatial Hubble. Depuis qu’il a été corrigé en 1993 pour son défaut de fabrication, son pouvoir de résolution (c’est-à-dire la netteté de ses images) est 20 fois supérieur à celui des télescopes terrestres. Il dispose d’un miroir de 2,4 m (95“), et fait 13,3 m de long. Son orbite est inclinée de 28,5 degrés par rapport à l’équateur, et il fait le tour de la Terre en 95 minutes. Des missions d’entretien régulières sont prévues pour le maintenir à la fine pointe de la technologie; la dernière s’est déroulée en 1997. Il a été conçu pour fonctionner durant 15 ans.

Depuis son entrée en fonction, Hubble n’a cessé de nous épater avec ses images d’une clarté - et surtout, d’une beauté - inégalées! Il nous a entre autres montré des nuages interstellaires, véritables usines à étoiles, à la taille démesurée. Dans son “Hubble Deep Field” (champ profond de Hubble) de 1996, il nous a livré l’image des plus lointaines galaxies jamais observées...

L’optique active et l’optique adaptative

Les télescopes au sol ont aussi fait de grands progrès pour compenser les effets des turbulences atmosphériques. Ils disposent aujourd’hui des techniques de l’optique active et de l’optique adaptative.

Le miroir primaire d’un télescope pourvu de l’optique active est non rigide; il repose sur des vérins indépendants qui exercent sur lui des pressions variables. Un ordinateur analyse continuellement les variations atmosphériques, et ajuste continuellement la forme du miroir primaire, par l’entremise des vérins, ainsi que la position du miroir secondaire afin d’aller chercher une netteté maximale dans les images. Le premier télescope à être doté de l’optique active fut le NTT (“New Technology Telescope” - le télescope à technologie nouvelle) de l’observatoire européen austral (ESO) au Chili, qui fut mis en service en 1989. (Le NTT possède un miroir primaire de 3,5 m de diamètre.) Les télescopes géants Keck I et Keck II bénéficient également de cette technique.

D’autre part, la lumière focalisée par un télescope muni d’un système d’optique adaptative est envoyée, avant d’être enregistrée, vers un miroir déformable. Celui-ci, contrôlé par ordinateur, modifie continuellement l’image observée en fonction des variations atmosphériques, afin d’aller chercher une netteté maximale. Ainsi, les télescopes dont le miroir primaire est rigide peuvent égaler les télescopes dotés de l’optique active.

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Conclusion

En attendant l’avenir...

 

D’ici à ce qu’apparaissent de nouveaux types de télescopes, on peut penser aux opticiens hollandais de la fin du XVIe siècle, les meilleurs fabriquants de verres correcteurs pour la vue de l’époque, qui ne se doutaient certainement pas que le petit instrument qui venait de voir le jour en leur pays, par hasard, et qui ne faisait après tout que grossir et rapprocher les objets distants, allait totalement révolutionner notre compréhension de l’Univers... et de nous-mêmes... Ils n’envisagèrent sûrement pas qu’un jour, un de ces instruments serait envoyé dans le ciel, en orbite autour de la Terre... Probablement qu’ils n’imaginèrent pas que l’humanité entière serait ce jour-là fascinée par les images prises par l’un des descendants de leur invention...

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Épilogue

L’avenir proche du télescope

 

Nouveau type de réflecteur

La France innove, en cette fin de millénaire, avec un nouveau type de miroir monolithique géant: le miroir souple. Faits de vitrocéramique et traités pour demeurer stables sous les variations thermiques, les miroirs de ce type auront un diamètre supérieur à 8 mètres pour une épaisseur d’à peine... 17,5 cm! Ils pèseront “seulement” 24 tonnes. Chaque miroir sera soutenu par 150 vérins indépendants; par leur poussée, ceux-ci donneront au miroir une forme parfaite en tout temps et en toutes circonstances. Il s’agit là en fait du principe de l’optique active. Une fois terminés, ces miroirs seront recouverts d’une fine couche d’aluminium qui leur permettra de réfléchir 97% de la lumière incidente. Chacun de ces miroirs sera accompagné d'un miroir secondaire ayant un diamètre supérieur à 1 m! Les miroirs géants souples de ce type ne dépasseront probablement jamais cette taille de 8 m, car au-delà de celle-ci, il serait, de façon pratique, impossible de les transporter. Six de ces miroirs sont en ce moment en construction.

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Tout d’abord, quatre miroirs identiques de 8,2 m, surnommés Joe, Jack, William et Averell, ont été commandés pour le VLT (“Very Large Telescope” - le très grand télescope) de l’ESO (“European Southern Observatory”, l’observatoire européen austral), sur le mont Cerro Paranal au Chili. Ils seront reliés pour former un interféromètre optique. La première lumière du premier de ces géants est attendue pour le début de 1998; les trois autres devraient entrer en opération en 1999, 2000 et 2001.

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Deux autres miroirs, de 8,1 m (Lucky Luke et Jolly Jumper), sont destinés au projet Gemini, une coopération des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, du Chili, de l’Argentine et du Brésil. Ce projet consiste en une paire de télescopes jumeaux, à raison de un par hémisphère, qui couvriront l’ensemble du ciel. Le premier de ces deux télescopes, installé sur le mont Mauna Kea à Hawaii (États-Unis), devrait recevoir sa première lumière vers la fin de 1998 ou le début de 1999. La construction de second,  qui sera placé sur le mont Cerro Pachon au Chili, a débuté en septembre 1997; le télescope devrait recevoir sa première lumière en 2001.

Autres projets en cours

Au Texas, le télescope Hobby-Eberly (HET) - une coopération États-Unis et Allemagne - a vu sa première lumière à l’automne 1997. Son miroir de 11,0 m, semblable à ceux des télescopes Keck, est composé de 91 petits miroirs hexagonaux d’une taille de 1 mètre, orientés de sorte à lui donner une courbure sphérique. Ce télescope nécessite donc un système de correction optique, qui réduit son ouverture effective à 9,2 m. Le télescope ne peut être déplacé qu’en azimut (c’est-à-dire horizontalement); il est pointé à une altitude fixe de 55 degrés: cela a permis de réduire considérablement son coût et son poids. Les instruments mobiles du HET lui permettent toutefois de couvrir les déclinaisons allant de -10 degrés à + 71 degrés.

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Le Japon est aussi de la partie avec le télescope Subaru, qui sera doté d’un miroir mince de 8,3 m, et installé sur le Mauna Kea. Ce télescope devrait entrer en opération avant août 1998 et bénéficiera de l’optique active.

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Les 6 miroirs de 1,83 m du MMT (“Multiple-Mirror Telescope”), le premier télescope à miroir multiple qui fut l’inspiration des Keck et du HET, situé sur le mont Hopkins en Arizona, cesseront d'observer vers la fin de 1997 pour être remplacés par un miroir unique de 6,5 m. La première lumière du nouveau MMT (ce sigle sera conservé, mais sa signification sera changée) est attendue en 1998.

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À Las Campanas, au Chili, on propose, avec le projet Magellan, la construction de 2 télescopes jumeaux de 6,5 m. Le premier télescope devrait voir sa première lumière dans la deuxième moitié de 1999.

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Les États-Unis, l’Italie et l’Allemagne se sont associés pour un ambitieux projet:: le grand télescope binoculaire, qui sera situé sur le mont Graham en Arizona. Il s’agit d’une paire de jumelles géantes formée de deux miroirs monolithiques de 8,4 m de diamètre installés sur une même monture. Chaque miroir de verre aura un poids de 16 tonnes, sera doté d’une structure de soutien en ruche d’abeilles (ce qui permet de réduire le poids, comparativement à un miroir formé d’un seul bloc), et sera recouvert d’une fine couche d’aluminium. Les centres des deux miroirs seront séparés de 14,4 m. Un tel assemblage de deux télescopes permettra d’augmenter considérablement la résolution - c’est-à-dire le nombre de détails visibles - des images obtenues. Le premier miroir devrait entrer en opération au printemps 2002, et le second devrait venir compléter le premier à l’automne 2003.

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Enfin, le successeur du télescope spatial Hubble (HST) est déjà en préparation! La NASA prévoit lancer le NGST (“Next Generation Space Telescope” - le télescope spatial de la prochaine génération) vers 2007. Il sera doté d’un miroir ayant un diamètre supérieur à 4 m, et sa mission devrait durer entre 5 et 10 ans.

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Références

 

Asimov, Isaac. Eyes on the Universe, A History of the Telescope. Houghton Mifflin Company, Boston, 1975. 262 p.

De La Cotardière, Philippe. Dictionnaire de l’astronomie. Collection Références Larousse. Larousse, Paris, 1996. 412 p.

Séguin, Marc, et Villeneuve, Benoît. Astronomie et astrophysique. Éditions du renouveau pédagogique, Montréal, 1995. 530 p.

Defait, Jean-Pierre. Zelentchouk rêve à l’Europe. Ciel et espace, février 1995, pp. 42-47.

Haddad, Leïla. Grandes lunettes: le  crépuscule des géantes. Ciel et espace, juin 1997, pp. 70-74.

Khalatbari, Azar. Ils fabriquent les plus grands miroirs du monde. Ciel et espace, mai 1997, pp. 40-45.

Moore, Patrick. The Leviathan Reborn. Sky and Telescope, novembre 1997, pp. 52-54.

News Notes. Sky and Telescope, septembre 1997, pp. 18-19.

S&T Newswire. Sky and Telescope, décembre 1997, p. 16.

Internet

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